Le désert est indescriptible. La réalité s’y engouffre, lumière rapide. Le regard fond. Pourtant ce matin. Très jeune, je pleurais déjà sur l’humanité. À chaque nouvel an, je la voyais se dissoudre dans l’espoir et la violence. Très jeune, je prenais la Meteor de ma mère et j’allais vers le désert. J’y passais des journées entières, des nuits, des aubes. Je roulais vite et puis au ralenti, je filais la lumière dans ses mauves et petites lignes qui comme des veines dessinaient un grand arbre de vie dans mon regard.
― Nicole Brossard, Le Désert mauve (1987)
Jeudi 26 janvier 2023 - Introduction au journal de création
Mélanie, une adolescente en quête d’absolu, sillonne le désert de l’Arizona pour exorciser la peur et la réalité, espérant échapper au quotidien lent du motel que dirige sa mère, près de Tucson. Sa rencontre avec l’excessive Angela Parkins multipliera les actes de révolte et de pure joie. Dans les intervalles de la narration, se dresse la présence menaçante de « l’homme long » comme l’histoire du monde et de la science. Tel est le récit que découvre la traductrice Maude Laure, récit qui l’envoûte et qu’elle décide de traduire après s’être imprégnée des personnages, avoir imaginé leurs dialogues et refait les paysages de l’inquiétante beauté du désert2.
Suivant les traces de Maude Laure, c’est à une traduction vers le sonore — par l’entremise des partitions musicales graphiques que je crée — que je convie les spectataires de mon premier opéra. Ainsi, j’ai fait entrer en résonance l’imaginaire poétique de Nicole Brossard, celui de l’auteure fictive du premier récit — Laure Angstelle —, celui de la traductrice Maude Laures et mon propre univers sonore à la fois lyrique, intimiste et bruitiste. J’ai donc cherché, à mon tour, à m’imprégner des personnages et à imaginer les textures harmoniques irisées de leur environnement sonore, aux couleurs complexes, modulant constamment entre consonance et riche rugosité à l’image des couleurs du désert, toujours semblables, toujours différentes dans l’infinie complexité des détails.
Le Désert mauve de Nicole Brossard pose un regard d’une acuité et d’une actualité troublantes sur la réalité, la fiction, la beauté et l’idée de civilisation. Au fil des réflexions et des vécus d’une adolescente avide de beauté et d’intensité, dans le désert de l’Arizona, ce livre — à la fois roman d’aventures, prose poétique, essai et œuvre d’art formaliste — nous emmène à déconstruire non seulement un certain idéal de narrativité directionnelle, mais aussi, et surtout, l’idée que le réel correspond au tangible : « La réalité n’est toujours que le possible accompli et c’est en quoi elle fascine comme un désastre ou offense le désir qui voudrait que tout existe en sa dimension. » (p. 29/59)
Ce livre est aussi l’incarnation d’un regard amoureux, charnel, compulsif d’une traductrice pour un livre trouvé dans une bouquinerie montréalaise et de son obsession à le traduire : « Non, je ne suis pas libre d’oublier Le désert mauve quand bien même il en irait de mon propre équilibre. Je suis au milieu d’une partition où je dois tout à la fois m’engager sans parure et répondre des images avancées par Laure Angstelle. » (p. 98/176)
De mise en abyme en mise en abyme, cette performance opératique est l’incarnation d’autres regards amoureux et passionnés. Il est issu d’une intuition forte que les sonorités de ce livre devraient résonner sur scène dans leur infinie richesse et complexité. Que l’intensité et l’inscription dans les corps imaginés par Nicole Brossard devraient être incarnées par la rencontre entre des voix chantantes et un public témoin de la vivacité de leurs présences. Que les interrogations existentielles de l’adolescente devraient côtoyer celles de la traductrice et se voir traduites en tableaux sonores riches de mille variations.
L’ambition du projet, depuis le début, est la suivante : créer un objet scénique transdisciplinaire où les moments du livre m’ayant le plus chamboulé·es s’inscriraient dans une partition graphique de grande envergure — laquelle partition serait à la fois guide d’interprétation, scénographie et terrain de jeu musical et physique. Afin de rendre ceci possible, j’ai choisi de procéder par étapes — enrichissant et complexifiant le projet d’une instance scénique à l’autre. C’est ainsi qu’une première version d’un « opéra » de chambre [Prologue au Désert mauve] a vu le jour au printemps 2019, d’abord à Québec (Festival Erreur de type 27) puis en reprise à Jonquière (Festival des musiques de création). Il s’agissait alors d’une partition vidéo graphique de 20 minutes, interprétée par une chanteuse et trois instrumentistes, qui présentait le premier chapitre du livre et plusieurs éléments visuels et sonores de l’œuvre complète à venir : sensations du désert tel que vécu par l’adolescente, impressions physiques et textuelles du fil de pensée de la traductrice, premières instances de la mystérieuse explosion — ombre portée par la figure inquiétante de l’Homme long et ponctuant le récit principal.
La deuxième phase a pris appui sur une lutherie numérique créée sur mesure pour le projet par Alexandre Burton, du studio Artificiel, et en co-conception avec l’artiste multidisciplinaire Line Nault. En effet, si la première phase consistait en une partition fixe au déroulement linéaire, la seconde avait pour ambition d’être formellement, visuellement et scéniquement plus ouverte. Là où le Prologue au Désert mauve présentait ses tableaux sonores sous forme d’une succession directionnelle de rouleaux peints ponctués d’images fixes, la partition de Le Désert mauve — un livre à traduire était plutôt organisée et projetée scéniquement par le truchement d’un outil numérique dénommé Macérateur médiatique par son concepteur. Ce Macérateur permet de mixer (superpositions, balayages multidirectionnels – incluant par zooms de grande ampleur, exploration tridimensionnelle, etc.) en temps réel des éléments de partitions graphiques ensemble et de recomposer la forme de l’œuvre lors de son interprétation. L’œuvre passe ainsi d’un déroulement linéaire d’une durée fixe, à une présentation de type plus performative où l’ensemble des éléments est recombiné en direct, par l’algorithme, mais surtout par un contrôle manuel que j’exerce en réaction à l’interprétation qu’en font les musicien·nes.
Cette deuxième phase a été amorcée en mai 2021 lors d’une résidence de 10 jours à Québec (Recto-Verso) suivie d’une présentation de sortie de résidence diffusée par le Mois Multi sous forme virtuelle, pandémie oblige. Cette phase a vu son aboutissement en octobre 2022, en partenariat avec le projet DIG ! (Différences et inégalités de genre dans la musique au Québec), et porté par trois voix plutôt qu’une. Nous avons alors peaufiné les éléments travaillés à Québec en travaillant avec un ensemble instrumental doublé (ajout d’une harpe, d’un thérémine augmenté électroniquement et d’un tuba) puis avons donné en spectacle, devant public à l’Ausgang Plaza (Montréal), une nouvelle version de l’œuvre. Cette dernière mettait de l’avant différents types d’éléments du roman – réflexions de la traductrice, quelques chapitres présentant les « aventures » de l’adolescente entremêlés aux mêmes chapitres tels que « traduits » par ladite traductrice, présentation de l’Homme long, etc. – et tableaux instrumentaux recomposés en direct via le Macérateur médiatique et projetés sur différentes surfaces.
Démarches croisées
L’idée folle de composer un opéra à partir du Désert Mauve m’est venue dès ma première lecture du roman, en 2011. Il s’agissait alors pour moi d’imaginer comment je pourrais jouer le jeu fondamental de ce livre : la traduction sensible des sonorités, des univers lyriques et amoureux, et des paysages philosophiques de l’auteure. Au fil de ma lecture, je ne pouvais m’empêcher d’imaginer les tons de voix des personnages, les ambiances sonores infiniment détaillées, mais à la limite du silence. Une première collaboration avec Mme Brossard est advenue en 2014, à la suggestion de l’auteure. Une œuvre électroacoustique est née de nos échanges (Sonore Là, créé en mars 2014 à la Grande bibliothèque de Montréal : https://youtu.be/YwIVPuRnf9o) entremêlant idées poétiques, influences et sonorités se rapportant à notre imaginaire de l’intime.
Une sensibilité commune s’est alors dessinée : sensibilité pour la sensualité, pour l’évocation et pour les formes nouvelles pouvant accueillir des possibles alternatifs de beauté. Les mots de la poète et mes sonorités, puis partitions graphiques, se sont à nouveau rencontrés lors d’un après-midi de performances que j’ai co-commissarié avec Mario Côté, Le mentir-vrai, qui s’est tenu à la Chapelle historique du Bon-Pasteur de Montréal en octobre 2018 dans le cadre d’une exposition des partitions graphiques de mon projet voir dans le vent qui hurle les étoiles rire, et rire3. C’est dans ce contexte que le présent projet d’opéra s’est cristallisé ; un projet de collaboration à la fois plus personnel, engageant et ambitieux. Un projet où l’auteure m’accorde l’immense privilège de travailler avec elle à subvertir une fois de plus son roman mythique, cette fois par l’entremise d’une forme — l’opéra — particulièrement codifiée. C’est pour moi un défi absolument sublime de détourner cette forme afin de rendre audibles les voix de Mélanie, de Maude, de Kathy ou encore de Lorna. Les rendre audibles non pas par l’emploi convenu de voix lyriques, mais plutôt en révélant pour chacune d’entre elles une façon d’être sonorement au monde qui leur est propre.
À propos de mes partitions graphiques, ou tableaux sonores
Je dessine le son. Pour qu’il puisse être interprété par des musicien·nes en concert, mais aussi pour qu’il puisse être entendu dans l’intimité des écoutes intérieures personnelles. En effet, je ne compose qu’avec des fusains, de l’encre ou du pastel en main, quelques règles simples en tête : un trait foncé correspond à un son fort, pâle à un son plus doux ; en haut de page il est aigu, plus bas il est grave ; etc. Cette notation offre de riches possibilités transdisciplinaires, poétiques et timbrales qui ont pu être explorées par des performeur·euses et artistes de la scène d’horizons très divers.
Depuis 2008, j’ai développé une méthode de travail particulièrement organique où je commence par peindre des partitions physiques de toutes sortes de tailles, que j’explore en ateliers avec les performeur·euses spécifiques au projet ; je retravaille ensuite ces esquisses pour en faire un ensemble pictural (constitué de longs rouleaux, de miniatures, de très larges toiles, etc.) que je numérise ensuite en très haute définition. Je procède finalement à un montage vidéo – où les éléments graphiques défilent, se superposent, sont présentés statiquement ou sous forme de « zoom in ou out » — que je décline en plusieurs versions : des versions spécifiques à chaque interprète ou groupe(s) d’interprètes et une version épurée projetée pour le public.
Le présent journal
Mon travail étant d’abord et avant tentaculaire et multiforme, il m’a semblé intéressant de partager l’intime du parcours de création du projet le plus important de ma carrière, à ce jour. Je vous offre donc ici à lire, sans modification autre qu’orthographique et de mise en page pour faciliter la lecture, l’intégrale du journal de création de la première phase du projet, soit du Prologue au Désert mauve, présenté à Québec au printemps 2019 (Festival Erreur de type 27 à La NEF).
L’idée de cette incarnation du projet est d’offrir à lire la réflexion en mouvement du projet, ses incertitudes et influences, ainsi que des éléments de dialogue avec Nicole Brossard, impliquée dès les premiers instants dans le processus. C’est d’ailleurs à sa suggestion que j’ai méthodiquement écrit mon journal, y insérant, à mesure, idées formelles, mood board sonores et visuels, réflexions et impressions de nos échanges courriels. Vous pourrez parfois y lire, en tout respect de la chronologie de l’objet physique de ce journal, des pistes approfondies de recherche créative, parfois plutôt des mots-clefs à recevoir comme on reçoit de la poésie, en ouverture et recontextualisation intime. J’y ai aussi inséré des photos de mes lieux de création – pour l’essentiel mon minuscule 1 ½ montréalais et le condo d’un ami dans le Vieux-Québec, mais aussi des numérisations des tableaux sonores, à mesure que je les complétais.
Je laisse au soin des lectaires de découvrir les captations du projet en amont de lecture, ou au moment qui leur siéra. Voici donc un lien d’écoute visuelle vers le Prologue au Désert mauve : https://youtu.be/Fx6h7-SJBx8
Ainsi qu’un lien vers la captation de la seconde phase du projet, Le Désert mauve – un livre à traduire, tel que présenté au Mois Multi de Québec : https://youtu.be/QAqLNq__tCc
La version finale du projet, d’une durée envisagée de deux à trois heures, est en cours de composition. La démarche se poursuit donc, encore et toujours, 12 ans après ma première lecture de ce livre, installé·e sur un banc faisant face à l’océan Pacifique, un septembre de vie où il faisait bon ressentir les mots de Nicole Brossard dans ses tripes.
Je remercie de tout cœur l’équipe de Rhizome, qui a suscité l’élan de rendre public ces chemins de création.
Bonne lecture !
29 décembre 2019 – chutes de Montmorency
[Note, 2023 : photo des chutes Montmorency que j’ai prise ce jour-là – la force brute et raffinée des chutes et le ressenti jusque dans les os du vent, de l’eau et de la température glaciale m’a donné l’élan de départ dans l’écriture du Prologue au Désert mauve]
Le 26 janvier 1997, à Hambourg, est créée La Petite Fille aux allumettes (Das Mädchen mit den Schwefelhölzern, 1990-1996), « musique avec images » de Helmut Lachenmann (…). Le conte de Hans Christian Andersen y est confié à deux sopranos, à quatre groupes de solistes vocaux (satb) et à l’orchestre, sans le moindre dialogue, traduisant ainsi la solitude de l’enfant, sa marginalité et l’indifférence du monde à son sort tragique. Une théodicée de la souffrance. Dès lors, ce que l’œuvre représente, ce sont les sensations et les sentiments de la petite fille, ainsi que sa conscience. Qu’elle soit visible sur scène ou non devient indifférent. La dislocation du texte entre les voix et les instruments crée une dramaturgie où nous assistons moins à une narration qu’au déploiement de son intériorité. Non une chanteuse incarnant la petite fille et chantant: «J’ai froid», mais la sensation globale, à l’écoute, du froid éprouvé.
Laurent Feneyrou, (2018). Noli me tangere. Violence politique, éthique protestante et composition musicale dans une section de La Petite Fille aux allumettes de Helmut Lachenmann. Circuit, 28(3), 13–24. https://doi.org/10.7202/1055191ar
Déploiement d’une intériorité
↓
sensations
sentiments
consicence
Chaya Czernowin à propos de Infinite Now
> “experience the fragility of the proposition”
10 janvier 2019
[Note, 2023 : première page du journal, les pages suivantes sont restranscrites à l’identique pour une meilleure lisibilité]
10 janvier (suite)
Mood board sonore I
- Kaija Saariaho
> Lohn (1996)
> L’amour de loin (2000)
- Helmut Lachenmann
> Nun (1997/99)
> “zwei Gefühle”, Musik mit Leonardo(1992)
> Das Mädchen mit den Schwefelhölzern (1990-96)
- Heinz Holliger
> Scardanelli-Zyklus (1975-1991)
- Chaya Czernowi
> Infinite Now (2017)
- Salvatore Sciarrino
> Infinito nero: Estasi di un atto (1998)
> La perfezione di uno spirito sottile (1985)
- Luigi Nono
> Das Atmende Klarsein (1980-83)
- Claude Vivier
> Love Songs (1977)
> Chants (1973)
> Journal (1977)
- Romitelli
> Professor Bad Trip (1998)
[Note, 2023 : première esquisse du projet, réalisée ce jour-là]
Vendredi 11 janvier 2019 – Montréal
À faire
- > enregistrer ma lecture complète du livre
- > demander à Nicole son accord pour enregistrer nos conversations
- > faire esquisse du désert seul, dans son horizontalité/détails/silence/iridescence
- > faire esquisse Mélanie et Mélanie/Laure seules
Sujets à aborder avec Nicole
- > aspect lesbien du roman => question de posture/appropriation culturelle
- > question formelle
- > question des fragments de texte, de leur choix et de leur intelligibilité
Samedi 12 janvier 2019 – Montréal
Hier, j’ai réalisé une seconde esquisse qui m’a fait prendre conscience d’une des difficultés fondamentales de ce projet. Pour une rare fois dans mon travail, je ne peux m’appuyer essentiellement sur mes propres impulsions retravaillées. Le Désert mauve est plus loin de mes personas que je ne le pensais. L’utilisation de l’encre plutôt que des pastels révèle particulièrement cette difficulté. Je dois m’imprégner profondément d’un inconscient autre : celui d’une créatrice patiente, méticuleuse et amoureuse de mondes, de tiers espaces. Une créatrice de mondes. Je crois qu’il y a moins de rage, de cri, de maniérisme revendicateur chez Nicole/Laure Angstelle que chez moi. Ou peut-être est-ce tout simplement articulé autrement ? Comment dessiner ce devenir-monde, le faire sonner sans être dans le mimétisme ?
Aussi, la violence qui est omniprésente dans mes impulsions travaillées — malgré moi — semble ici canalisée par l’homme long. Est-ce que j’aurais en moi plus de ce personnage que de Mélanie ?
Mood board sonore II
- Émilie Payeur
> album Feux de Joie (2017)
- Demetrio Stros
> album Recitarcantando (2013)
- Gilles Tremblay
> Oralléluiants (1975)
- Joan La Barbara
> album Tapesongs (1977)
- Mr. Bungle
> Disco Volante (1995) =======> fast so fast !
- Pauline Oliveros, Stuart Dempster, Panaiotis
> album Deep Listening (1989)
[Note, 2023 : seconde esquisse du projet, réalisée ce jour-là]
« Je roulais vite et puis au ralenti, je filais la lumière dans ses mauves et petites lignes qui comme des veines dessinaient un grand arbre de vie dans mon regard.
J’étais alerte dans le questionnement mais il y avait en moi un désir qui sans obstacle m’effrayait comme une certitude. Puis venait le rose, le roux, et le gris parmi les pierres, le mauve et la lueur de l’aube. Au loin les ailes étincelantes d’un hélicoptère à touristes » p.1/11
« Je tissais la lumière. Je roulais vite et aussi lentement, je suivais les petits fragments de vie qui s’alignaient dans mon regard, horizon mauve.
Habile, je l’étais au jeu du discernement mais il y avait en moi un désir tel que, sans obstacle, cela m’angoissait comme un trop-plein d’énergie. Alors venaient le rose, le rouge et le bris parmi les pierres, le mauve et l’aube lente. Au loin, l’éclat d’un hélicoptère à touristes. » p1/181
Filer la lumière > tisser la lumière
Mauves et petites lignes comme des veines > petits fragments de vie, horizons mauves
Rose, roux, gris, mauve / lueur d’aube
Rose, rouge, pierre, mauves / l’aube lente
[Note, 2023 : troisième esquisse du projet, réalisée ce jour-là]
Dimanche 13 janvier – Montréal
Beaucoup de stress, le corps fatigué par le vertige de ce roman, de l’idéal d’un opéra. Heureusement, la visite de l’exposition d’Ed Pien au 1700 La Poste, hier, m’a donné une certaine énergie, et un nouveau matériau, le Flashe4, et son aspect à la fois mat, vinylique et aux couleurs franches. Le caractère très affirmatif du matériau m’emmène à composer quatre esquisses.
Une nouvelle esquisse surchargée, s’appuyant cette fois sur les 4 couleurs énoncées par le roman dans ses deux pages « 1 » : rose, roux/rouge, gris et mauve. Je ne peux m’empêcher d’y ajouter le vert — un vert désincarné. L’esquisse surchargée m’a pris l’essentiel de la soirée. Les trois autres sont des trop-pleins d’énergie navigués à la large brosse, avec un mélange de Flashe roux et rouge, et d’eau. C’est une matière volatile excitante. Ça donne le goût de dérouler l’entièreté du rouleau de papier de riz et de danser dessus avec la brosse.
L’ensemble des quatre esquisses donne aussi envie de jouer avec le montage vidéo5. Faire apparaître puis disparaître des esquisses « volatiles » (donc tempo très rapide), intercalées avec du noir. Peut-être créer beaucoup plus du même genre, mais avec les 4 couleurs — avec dominante roux ? Peut-être ajouter, en premier plan de chacune de ces esquisses, des lignes très droites en rose fluorescent ?
En opposition, étirer énormément les esquisses « surchargées ». Les faire défiler très rapidement. Une idée à creuser : composer la partie vocale sur un long rouleau de papier de riz (ou papier calque ?) translucide, et superposer ce rouleau au montage vidéo des autres esquisses.
[Note, 2023 : esquisse du projet, réalisée ce jour-là]
Lundi 14 janvier – Montréal
Interroger l’abstraction de Tucson, de l’Arizona. Lieu mythique ou concret ? Les personnages écoutent-elles du country ? Y a-t-il des repères de temps précis, hormis peut-être la voiture (Meteor) ?
Jeudi 17 janvier – Vieux-Québec
J’ai commencé à travailler le rouleau de papier japonais et le Flashe : ça semble bien fonctionner, mais requiert beaucoup d’espace. Les premières phrases utilisées : « Fast so fast » et « fever fever forever »6. Cela ouvre la porte à l’emploi des phrases emblématiques de ce type comme des motifs récurrents. A priori, aux deux phrases précédentes s’ajouteraient « Le désert est indescriptible. » et « J’avais quinze ans. »7 Une première section de l’œuvre pourrait mélanger ces 4 phrases sur fond d’une musique très rapide. À cette section s’enchaînerait une seconde qui donnerait à entendre et à voir le 1er paragraphe du livre
Samedi 19 janvier – Vieux-Québec
Le mot « explosion », si central dans le roman, gagne à vivre dans la partition. J’ai testé des « explosions » de noir argenté et noir doré, avec des coulées de mauve et de cuivre : je pense que ça ouvre des voies hyper intéressantes côté instrumental. Mais je n’arrive pas à y intégrer la voix.
Mardi 22 janvier
Au sortir d’un café avec Véronique, je marche vers chez moi en chantant-murmurant « le desert est indescriptible ». Il fait -17 degrés, température ressentie de -27, le soleil est magnifique et cru dans ses reflets sur les grands bancs de neige hérités de la tempête intense qui a pris d’assualt le territoire dimanche et lundi. Nous avons beaucoup parlé de Gilles Tremblay, mais aussi d’héritage. En chantant-murmurant le mot désert, je me dis qu’il faudrait que je décomplexe mon rapport au lyrisme fantasmé de mon désert, mon rapport aux chants coptes et aux plaintes de Oum Kalthoum. Et hier ce chant au Bas-du-fleuve, au désert de l’Arizona. Comme Gilles avec Charlevoix et le chant grégorien. Et le corps face aux éléments.
Mardi 22 janvier – Montréal (suite)
… décomplexer le rapport au temps, aussi, au temps où le récit n’avance pas, mais se donne à être écouté, entendu. Ce fameux « déploiement d’une intériorité ». J’entrevois un lien entre Mélanie dans le désert et mon expérience au même âge, sur le bord du Fleuve/Rivière-des-Prairies. La route, s’enfoncer dans les éléments-pensées, les sonorités lointaines des présences et des éléments.
Jeudi 24 janvier – Montréal
Hier, journée très difficile et productive. Les refus de demandes de subventions et de résidences s’accumulent. Le manque de reconnaissance par mes pairs se fait ressentir dans la précarité à laquelle sont contraints mon corps et mon esprit. Je me suis néanmoins lancé dans la composition du chant des premières phrases du roman comme une plongée dans la nécessité vitale du geste artistique.
Samedi 26 janvier – Montréal
Le premier rouleau que j’ai composé est avant tout axé sur la vitesse (« Fast, so fast ») et l’intensité (« fever, fever, forever »). À l’écoute du projet de Buck/Schneeberger/Buck sur Instagram (@ri.an.jo), je crois qu’un second rouleau beaucoup plus contemplatif serait un lieu d’exploration intéressant. Peut-être le tout début de « Un livre à traduire », lié à décembre, à la « blancheur spectrale » (p. 1/55). Je commencerai par enregistrer ma lecture de cette section pour me mettre les mots et les sonorités dans l’oreille.
[Note, 2023 : extrait du premier rouleau de papier de riz, une fois numérisé]
Samedi 26 janvier (suite)
Lecture enregistrée de la première section de « Un livre à traduire ». L’intuition plus haut se confirme. La temporalité qui se développe est celle de la création : on entend les sonorités du logis de Maude Laures — présence humaine en réflexion, craquements du lieu lié au froid à l’extérieur, bruits de décembre montréalais (du moins urbain), de neige — et un temps à la fois rapide et réflexif. « La froideur de Maude Laures était un incommensurable désert blanc sillonné d’éclairs mauves. » (p. 11/65)
Dimanche 27 janvier
Je relis les sections « lieux et objets » et « personnages ». J’ai envie de créer un rouleau sonore pour chaque élément mis au microscope de l’imaginaire par Maude Laures – personnage à laquelle je ne peux évidemment faire autrement que de m’identifier. J’ai l’intuition, aussi, qu’il me faudrait créer ma propre séquence d’éléments à developper par un contexte de projections de mon propre imaginaire. Les différentes sections seraient similaires, surement, mais dans un ordre autre. Les « dimensions » sont les premiers éléments qui m’importent – désert, aube, peur, réalité, civilisation – ceux qui sont à la base de mon envie de créer cet opéra. Les voix et intériorités des personnages, ensuite. Les lieux et objets m’interessent beaucoup moins, à priori. Tout ceci met en évidence la question vertigineuse de la forme de l’opéra :
1 – Calquer la forme du livre ( A – B – A’)
2 – Forme-mémoire du livre, entremêlement des éléments ponctuels de son entièreté… Mais avec quel fil conducteur ?
(FORMULE)
3 – Forme-détournement du livre, un peu à la manière du travail fait par Nicole et Simon Dumas, proche de l’auto-fiction
> A – B (+Bsy/N) – A’(+A’sy/N)
Ou
> Forme-mémoire de A – B(sy) – A’(sy)
> Intuitivement, c’est la forme qui m’interpelle le plus – incluant mise en danger par les questionnements face à l’appropriation de l’œuvre – question centrale du roman ?
Dimanche 27 janvier (suite)
Ma propre sequence d’éléments devrait certainement comprendre les façons d’être sonorement au monde propre à chaque personnage.
Ainsi, cette phrase à propos de Maude Laures : « La froideur de Maude Laures était un incommensurable désert blanc silloné d’éclairs mauves. »
Mardi 29 janvier
Je retrouve cette citation, prise en photo en mai 2017 :
« 25 novembre
Je ne suis pas ici et je pourrais mourir ici. Je reviens de la nuit. Je n’ai rien à donner. Je ne sais pas jouer. Je ne sais pas mentir. Je pense au soleil qui disparait sous la mer, je pense aux pluies d’été sur mon visage, je pense à ma place. Ou mettre mon corps ? La nuit vient et elle est éternelle. Je n’ai plus de silence. Je n’ai plus de secret. Il ne s’agit plus d’homosexualité. Il sagit d’effacement. »
Nina Bouraoui,
Poupée Bella
Symon Henry
À : Nicole Brossard
ven. 11 janv. 2019 à 13:41
Chère Nicole,
Des questions plus précises émergent, des pistes d’idées et de grandes lignes, des mots sur des sensations formelles que j’ai hâte de te partager.
Une idée, d’abord, que je crois très prometteuse – et que j’emprunte au compositeur d’un des opéras qui m’a le plus marqué dans mon parcours et mon envie de composer, justement, un opéra, soit Helmut Lachenmann et sa Petite fille aux allumettes : l’idée de crée moins une narration calquée sur la forme du roman, qu’un déploiement de l’intériorité des personnages – leurs sensations, sentiments et conscience. Reste à voir comment cette idée pourrait s’articuler!
Concernant l’audio, ne t’en fais pas avec ça : je vais réaliser moi-même une lecture enregistrée, qui me permettra d’explorer plus intimement les sonorités des mots, et de me « confronter », si l’on veut, à ma propre voix se mettant au service d’une démarche en résonance avec celle de Laure Angstelle – la personnage qui m’intrigue le plus, au jour d’aujourd’hui.
Pour la rencontre, je serais disponible le 23 janvier (sauf en avant-midi) ou le 8 février (disponible toute la journée), comme tu préfères. Du côté du lieu et de l’heure, c’est comme tu préfères. Ça pourrait aussi être chez moi sans problème. Je pensais peut-être poser mon enregistreuse sur un coin de table, pour garder une trace de nos échanges – trace qui pourrait toujours servir, sait-on jamais, pour la partie électroacoustique de l’œuvre. Serais-tu à l’aise avec cela?
À bientôt,
Symon
Nicole Brossard
À : Symon Henry
ven. 11 janv. 2019 à 16:30
Cher Symon,
J’aime beaucoup ce que tu m’écris. Je découvre Helmut Lachenmann.
J’aime ton idée de l’intériorité des personnages.
Laure Angstelle, Mélanie, Kathy Kerouac, Angela Parkins, l’Homme long, Maude Laures (la traductrice)
Après avoir lu ton message j’ai spontanément écrit :
Intériorité avec ou sans paysage (re : mise en scène)
Relation «
Intériorité «
Relation
Etc.,
Ou
Intériorité
Intériorité
Relation
Ou modulation du pattern
Il y a des lieux et des objets qui pourraient aussi être mis en évidence
Le désert
Auto
Motel-bar
Conversation, musique, sons
Pour ce qui est des relations ou liens entre personnages
Le sonore sera-t-il lié et/ou non lié
du genre o-o-o-o- illlliuuuIiI * ___ __ _ __ _ _
*(ligne brisée dont on se sert pour montrer les hauts et les bas d’une économie ou des variations dans, par exemple, la fréquentation des cinémas).
Comme tu peux le voir, je suis partie mais tout cela deviendra plus évident lors de notre rencontre.
J’aurais tendance à dire le 8 février, entre 13h et 16h . Qu’en penses-tu? Je pourrais passer chez toi.
(si c’est une journée sans verglas ou tempête).
Sinon le 23 en après-midi, chez moi, avec ton enregistreuse (si cela est possible). Comme je m’absenterai à la fin du mois, j’essaie de ne pas trop m’absenter avant.
À tout bientôt,
Nicole
[Note, 2023 : numérisation complète du premier rouleau de papier de riz]
Mardi 29 janvier (suite)
Ce passage, alors que Nicole et moi nous rencontrons tout à l’heure pour la « première » fois pour discuter concrètement du projet :
« “Ce n’est pas vrai” revient sans cesse, revient comme une intrusion dans ses notes, annule tous ses efforts de concentration. “Ce n’est pas vrai” revient, la refoule dans son univers, la retient de ce désir fou qui s’éternise, peur panique de se substituer à l’auteure de ce livre. » (p. 3/57)
Mardi 29 janvier (suite), rencontre avec Nicole
Intériorité / aura => ce qui émane
Corps de fiction
Corps de réalité > Incarnation des personnages
Corps sonore
Produire l’élan, le goût d’envol
L’émerveillement
[Note, 2023 : éléments de partition réalisés cette semaine-là qui deviendront centraux pour le projet]
Dimanche 3 février – Montréal
« Il y avait maintenant plus d’un an que Maude Laures préparait son manuscrit. Ce matin le ciel était bleu. Deux ou trois nuages, petites béances au loin. Maude Laures ouvrit le réfrigérateur, se servit un Coke. Puis elle eut envie de partir, de prendre la route vers Québec. Le fleuve serait beau et grand sous la lumière crue de mars. » (p. 115/169)
Ce passage terminera la version « Québec » du Prologue. J’avais oublié la présence du trajet Montréal/Québec dans le livre. Et pourtant cette intuition de travailler cet opéra entre les deux villes m’habitait comme une évidence. Curieux processus de l’instinct qui guide l’écriture de ce projet. Je suis néanmoins habité depuis quelques jours d’une peur de me perdre dans ce livre « quand bien même il en irait de mon propre équilibre », comme l’écrit si bien Maude Laures dans Dimensions : le désert. Je m’identifie beaucoup à ce personnage, à sa froideur « un incommensurable désert blanc sillonné d’éclairs mauves » (Un livre à traduire).
Je pense que le projet devra prendre aussi une forme installative avec :
- – Les rouleaux déroulés au maximum (au mur ?), ponctués des dessins qui tiennent en une page.
- – Des iPod disposés dans l’espace avec les enregistrements de ma lecture du Désert en français, anglais et allemand, mais aussi des enregistrements des discussions avec Nicole.
- – Ce carnet.
Nicole Brosard
À : musicien compositeur, poète
jeu. 31 janv. 2019 à 15:22
Cher Symon,
Je ne sais pas par où commencer pour te dire que mes yeux sont encore pleins de toutes ces notes, ces lignes surprenantes. J’ai plein de petits passages visuels en tête, quelques explosions et cette ligne rose qui file son chemin avec et malgré le noir qui la contient. Comme si Mélanie était sa propre autoroute. J’ai beaucoup aimé notre séance de travail et tu me diras quand il en faudra une autre car c’est toi qui roules déroule et roules encore, si je puis dire.
Je continue de penser à la notion de temps. Qu’est-ce que quatre secondes? Une minute. 4 couleurs.
Comment la vie, comment la narration déroule-t-elle autant de vie?
Évidemment, j’aurai, j’ai très hâte d’entendre ces notes dont tu es présentement le seul à détenir l’énergie.
Je suis contente que tu aies trouvé Die malvenfarbene Wüste. Certains mots allemands produiront peut-être des effets spéciaux? Et ma fille qui me disait hier qu’elle passera la prochaine fin de semaine à Stuttgart. Et le tableau de Rita Letendre, celui du mur, celui dans ton cahier de notes.
Bonne écriture et pleine énergie.
Amitiés,
Nicole
Mardi 5 février – Montréal
Début de la numérisation du premier rouleau. Je suis toujours aussi fasciné par la plongée dans la matière que permet ce procédé, à très haute résolution (720 dpi). L’encre dorée, argentée ou Flashe répondent particulièrement bien, tout comme le nouveau papier à shodo que j’ai acheté chez Au papier japonais.
Jeudi 7 février – Montréal
Fin de la numérisation du premier rouleau et des esquisses sur cartons 14×17 et 18×24 pouces. Environ 6 h de numérisation — processus à la fois particulièrement mécanique et méditatif. J’en profite d’ailleurs pour écrire à Nicole et poursuivre avec elle la réflexion sur le rapport au temps. Je lis aussi un compte rendu critique de l’objet théâtral de Simon Dumas et Nicole, rédigé par Alain-Martin Richard pour la revue Esse. Cette lecture me fait prendre conscience que le Désert mauve s’articule autour de deux lieux principaux — lieux strictement « physiques » — soient le désert et le motel. Pour l’instant, j’ai complètement négligé, un peu involontairement, le motel. Il faudra y voir. Je ne me suis pas encore penché sur l’axe réalité/fiction ni sur l’homme long. Il faudra aussi y voir !
Mercredi 13 février – nuit, Montréal
J’ai commencé à traiter les images numérisées. « Le regard fond » ; « Le désert est indescriptible. » Je regarde et re-regarde ces premières images, ces premiers sons. Je ne peux m’empêcher de penser au caractère obsessionnel du roman. Simon Dumas a dédié une décennie complète (plus ?) de sa vie à explorer le désert, le motel, les personnalités de Mélanie, Maude, Laure, etc.
De mon côté, le projet m’habite déjà depuis huit ans. Les phrases deviennent presque des mantras. « J’avais quinze ans et de toutes mes forces j’appuyais sur mes pensées pour qu’elles penchent la réalité du côté de la lumière. » L’obsession du désert, de la fuite en avant, du choc du passage de l’adolescence à l’âge adulte. Quinze ans. Secondaire 3. An 2000. La fin des coups, mais pas de la peur. Le début de la confrontation lente avec papa. La pâleur de mon visage. 5 ans à protéger les jumeaux de ses coups, de leurs coups à tous les deux. Un certain changement de paradigme — de la peur, à la peur mêlée de résilience. 12 ans encore à vivre dans la peur. Premières fissures dans la chape de plomb. L’envie d’être libre comme Thomas, d’être touché par Elizabeth. « Fast, so fast » : l’obsession est peut-être liée à tout ce qu’on peut projeter dans l’émotivité, dans le passage à l’âge adulte de Mélanie. « Il ne faut pas qu’Albuquerque explose dans ma tête. » Il ne faut pas que Cartierville explose dans ma tête.
Jeudi 14 février – Montréal
Dans le film Spotlight (2015), un avocat dit la phrase suivante à un journaliste : « (…) if it takes a village to raise a child, it takes a village to abuse one. »
Peu de rapport avec Le Désert mauve, mais cette phrase nomme probablement la racine d’un certain ressentiment, chez moi, et le désir très fort d’investir des lieux littéraires où « le village » est « autre ». J’écris ceci et me dit que cette phrase est peut-être au cœur de mon lien avec Le Désert mauve.
Mercredi 20 février – Montréal
Une journée riche en réflexions, hier. J’ai terminé le premier montage vidéo d’une section de 13 minutes de Prologue au Désert mauve. Je suis fasciné par la richesse des couleurs-sons, par la plongée dans le grain des matériaux, en particulier les lavis. Cette fascination me rappelle une mise en garde à moi-même : le trop grand amour du matériau peut miner la forme et la profondeur du projet, peut oblitérer le texte. Néanmoins, j’ai le sentiment que, pour l’instant, cet amour est fécond. Il devrait aussi se nourrir de plus de confiance et d’autovalidation : au visionnage de l’extrait de 13 minutes, j’ai l’impression que la pièce ne prend pas assez le temps de se poser. Cette absence d’enracinement est le propre d’une œuvre exploratoire, mais je pense que la deuxième partie gagnerait à être d’un seul tenant, d’une seule matière, appuyée sur le texte exposé de manière continue.
En soirée, j’ai assisté à la « proposition opératique » de Michel Gonneville intitulée L’hypothèse Caïn, un projet comprenant beaucoup d’éléments particulièrement riches de sens — les projections de Mario Côté et de Catherine Béliveau ; les éclairages de Nany Bussière ; les questionnements sous-jacents sur la violence, la sexualité et la mort ; la production du spectacle entièrement prise en charge par le compositeur ; une fin sublime où les chanteur·euses sont parfaitement intégré·es aux musicien·nes dans les trames raffinées. L’ensemble, toutefois, ne m’a pas semblé fonctionner du tout. Les mélodies et textes se suivent et se ressemblent. Une sorte de chœur grec d’archéologues est censé servir de « comic relief », mais échoue sa rupture de ton comme Jar Jar Binks dans Star Wars. Mais c’est surtout le style emphatique et la pauvreté du livret qui expliquent, selon moi, cet échec. J’en ressors rassuré quant à la pierre angulaire du Désert mauve — soit le texte même de Nicole — mais empli de questions et de mises en garde à moi-même quant à la grande forme, au piège de l’emphatique et du gris qui me guette, à la cohérence, et renforcé dans mon impression qu’il faudra faire bien attention de sélectionner chirurgicalement des éléments de texte et de leur donner pleinement l’espace de s’exprimer autant sonorement que sur le plan du sens.
Vendredi 22 février – Vieux-Québec
- > imprimer les dessins
- > préciser dans le vidéo les instruments quand pas clair
- > trouver manière d’indiquer le tempo dans le désert
> Juste indication « frénétique » , par exemple ?
Mardi 26 février – Montréal
Les derniers jours auraient dû n’être que lumineux, mais ont plutôt été d’une grande difficulté. Le projet a reçu son premier refus de financement, au Conseil des arts et des lettres du Québec. Je ne sais pas comment l’annoncer à Nicole, à Denis et Stéphanie8, mais surtout aux musicien·nes. Le projet était impeccable — nous le savons toustes — alors il y a quelque chose de particulièrement lourd à gérer : l’impression que, peu importe la qualité du dossier, des partenaires, du projet, il n’y a tout simplement aucun effort au niveau de la qualité qui puisse prétendre compter sur un soutien, sur une défense par mes pairs. Je vais tenter de réappliquer, bien sûr, mais j’ai peur que le cauchemar de je suis calme et enragé·e ne se répète. Deux ans de travail acharné, une dizaine de refus à tous les paliers de financement. Des partenaires convaincu·es, prêt·es à s’investir, à qui je suis obligé d’avouer mon incapacité à convaincre mes pair·es9. Il y a ce goût amer et cette fatigue qui pointent. Mais, heureusement, cette fois il y a la lueur d’espoir des 3 représentations prévues et soutenues, côté cachet des instrumentistes, par des diffuseurs10 : à défaut d’être payé, d’avoir le temps et l’espace mental de créer, je pourrai faire entendre quelques bribes de ce projet à Québec et Joliette.
Une toute première répétition avec Benoît11 et Rémy12 a d’ailleurs eu lieu à l’école de danse de Québec où Rémy enseigne. Un grand local lumineux pour l’éclosion de premières sonorités. Ces deux personnes, ces deux artistes complets, sont vraiment des perles rares. Le désert et Mélanie commencent à poindre. J’ai hâte, j’ai l’immense curiosité de cet univers à poindre, de cette relation qui éclos, individuelle et d’ensemble, avec chacun·e.
Dans un courriel daté du 22 février, en réponse à mon envoi du premier montage de la partition vidéo du Prologue au Désert mauve, Nicole m’écrit :
Nicole Brosard
À : Symon Henry
ven. 22 février 2019 à 17:03
Cher Symon,
L’adrénaline sonore et visuelle est à un haut niveau. Quel beau projet. Vivant, mouvant, émouvant.
Le premier extrait de partition, parfait pour l’oreille intérieure et le plaisir de l’œil, a fait son effet et j’ai très hâte à notre prochaine rencontre.
Je t’attendrai mercredi le 6 mars à 14h.
Bonne continuité et lumière de travail.
Amicales pensées,
Nicole
Relire ces mots m’encourage à remplir les prochaines demandes de subvention, mais, surtout, m’aideront un peu à sortir du marasme passager et à continuer à composer le Prologue. Pour la section à venir, j’utiliserai essentiellement les premières phrases que j’ai soulignées dans Le Désert mauve entre ma première lecture en 2011 et ma rencontre en juillet 2017 avec Nicole — alors que je lui demandais la permission d’écrire cet opéra. Dans un courriel daté du 23 juillet 2017, elle m’écrivait :
Nicole Brosard
À : Symon Henry
dim. 23 juillet 2017 à 11:54
Cher Symon,
Tout d’abord te remercier pour cette belle et riche soirée chez toi. Pour le repas délicieux, pour le rythme des paroles et de l’écoute.
Et aussi pour voir dans le vent qui hurle les étoiles rire, et rire qui me permet de poursuivre la découverte de ton travail et ta façon de construire l’événement du dire dans la musique entre autre par voie de l’annotation-dessin. Tes clés de compréhension sont de toute beauté.
Ton introduction, si je puis dire, fait partie de nos échanges de la soirée.
Je continue ma réflexion sur le mot opéra.
Et en fonction de la musique que tu as entendue lors de ta première lecture, il sera possible je présume de circuler entre le grand espace du désert, de l’aube et autres et les espaces restreints du motel, de la chambre, du bar, les dialogues et les thèmes. Quel croisement dramatique?
Quelle respiration en chacun des principaux personnages?
Pensées bien annotées du stimulant projet,
Et au plaisir,
Nicole
« Quelle respiration en chacun des principaux personnages ? »
Vendredi 1er mars – Montréal
Extraits de texte pour le 2e rouleau :
« Pourtant ce matin. Très jeune, je pleurais déjà sur l’humanité. À chaque Nouvel An, je la voyais se dissoudre dans l’espoir et la violence. Très jeune, je prenais la Meteor de ma mère et j’allais vers le désert. J’y passais des journées entières, des nuits, des aubes. Je roulais vite et puis au ralenti, je filais la lumière dans ses mauves et petites lignes qui comme des veines dessinaient un grand arbre de vie dans mon regard. » (p. 1/11)
« Un jour, je serais fast so fast, sharp so sharp, un jour j’aurais devant la nécessité de l’aube tout oublié de la civilisation des hommes qui venaient dans le désert voir éclater leurs équations comme une humanité. » (p. 3/13)
« J’avais quinze ans et de toutes mes forces j’appuyais sur mes pensées pour qu’elles penchent la réalité du côté de la lumière. » (p. 4/14)
« J’avais quinze ans et devant moi l’espace, l’espace au loin qui m’amenuisait comme une civilisation à rebours, cité perdue dans l’air tremblant. » (p. 9/19)
« La route était un décalage horaire perdu dans l’air tremblant de l’horizon. J’avais quinze ans et devant moi la réalité pour m’aider à contourner l’existence. Et puis, il y avait la liberté ! Là où j’ai grandi, la liberté se porte côté cœur comme une arme. Elle peut tout autant servir à surmonter la peur et la nostalgie qu’à faire du bruit dans les reins, les mâchoires et les vagins. Là où j’ai grandi, les femmes s’appliquaient de la liberté sur les joues : ça sentait l’encens, la peau lisse, la pharmacie pendant que les hommes tiraient un bon coup de liberté sur tout ce qui bougeait. » (p. 22/32)
« Il y a des mémoires pour creuser les mots sans souiller les tombes. Je ne peux tutoyer personne. Il n’y a pas d’altérité, seulement une alternance dans l’apparence. J’ai besoin de souplesse et de tension. Il ne faut pas qu’Albuquerque explose dans ma tête. » (p. 22/32)
Samedi 2 mars – Montréal
Cette citation de La maladie de la mort de Duras, en écho :
« Jusqu’à cette nuit-là vous n’aviez pas compris comment on pouvait ignorer ce que voient les yeux, ce que touchent les mains, ce que touche le corps. Vous découvrez cette ignorance.
Vous dites : Je ne vois rien. »
La douceur et le trouble de ces voix me bouleversent.
Dimanche 3 mars – Montréal
Tout juste de retour d’un café avec Gabriel. Au fil de la discussion, nous arrivons à une hypothèse dont l’exploration m’interpelle grandement : et si, par le truchement des partitions graphiques, je tentais de vivre par procuration — par l’entremise des musicien·nes — les émotions que je ne sais pas ressentir à même mon propre corps, comme survivant·e d’une enfance violente ? Et si je passais par leur connaissance de codes communs avec leur public pour communiquer ces émotions pour lesquelles — seul — je n’ai ni les codes pour les ressentir pleinement, et donc encore moins les communiquer ?
Peut-être que ce sont là des clefs pour comprendre l’intuition à la base de ma démarche…
[Note, 2023 : extrait de la partition une fois numérisé]
Mercredi 6 mars
Rencontre avec Nicole.
L’homme long = dieu (religieux ou athée/gouvernement ou GAFA)
“Qu’il y ait du corps qui la traverse” (L’oeuvre d’art)
Jeudi 7 mars
“Et toujours ce pouvoir des hauteurs” Friedrich Holderlin
[Note, 2023 : photos prises en répétition, ce jour-là, dans la cuisine verdunoise d’Émilie Payeur, électroacousticienne du projet]
Nicole Brosard
À : Symon Henry
mar. 23 avr. 2019 à 16:51
Cher Symon,
Ce fut un réel plaisir d’être avec vous, de vous entendre en paroles, réflexions et instruments.
Aussi de vous voir en compagnie des objets de musique et de composition qui sont les vôtres. Je vous ai vu dans vos gestes, dans vos voix, dans vos cor(p)s et arc(het)s de présence.
Je viens d’entendre le lien que tu m’as envoyé et je suis touchée par ce que j’ai entendu.
Ce que j’ai entendu sur le lien est très beau et inspirant. Ce prélude a l’énergie et l’intensité que j’aime. Dès le début de l’écoute, c’est le mot spatial qui m’est venu en tête, et c’est un délice. Je sais que la musique est spatiale mais ce que tu as écrit est magnifique.
J’emploie le mot spatial parce que c’est là que l’on rêve et s’émeut. Spatial me donne du temps et je le prends.
Demain matin, je vais réécouter. Et je te dirai si l’écoute et la perception sont les mêmes ou différentes.
J’aimerais beaucoup aller et entendre à Québec mais je ne sais si je pourrai.
La bise,
Nicole
[Note, 2023 : numérisation complète du second rouleau de papier de riz du projet]
23 avril 2019 – Vieux-Québec
« Les œuvres sont signifiantes quand elles ravivent et font bouger la mémoire, quand elles touchent des questions neuves ou relancent à toute vitesse l’élan de vie dans des questions éthiques et morales qui honorent la langue. Nos angoisses civilisationnelles font partie de la littérature et il ne faut pas les confondre avec la culture commerciale de la peur et de l’insécurité. Nous avons de nombreux outils pour faire un “bilan” un peu plus précis de la nature humaine, sans pour autant comprendre pourquoi nos larmes continuent d’être universelles. »
Nicole Brossard in Nicole Brossard l’enthousiasme, une résistance qui dure, entretiens avec Gérald Gaudet, 2019, p. 31.
« Pour les femmes, c’est certain que la réalité est à proprement parler comme une fiction. C’est la fiction advenue de la subjectivité masculine, de la version et de l’interprétation masculine de ce qu’est le temps, l’espace, la sexualité, le travail, le pouvoir, la créativité, etc. Les femmes ne réalisent pas leurs rêves, si je puis dire, parce qu’il n’y a pas de place pour leurs rêves dans la réalité, à moins bien sûr que ce rêve soit conforme à la fiction des hommes que nous appelons réalité. »
Brossard, idem, p. 57
« Je sais qu’écrire c’est se faire exister, c’est comme décider de ce qui existe et de ce qui n’existe pas, c’est comme décider de la réalité. »
Brossard, idem, p. 65
« On franchit des interdits, des lieux de contradiction. On passe : jurons, vulgarités, obscénités, joual-slang. On traverse : sous l’effet des moteurs, des souffles, des énergies électriques, des espaces possibles apparaissent, s’allongent : GARDEZ CE RÊVE DANS VOS POUMOUS. »
Nicole Brossard, Vaseline, La Barre du jour, no. 42, automne 1973, p. 17
[Note, 2023 : entrée du condo de l’ami Mathieu où je compose, une accumulation de neige et de glace de près de deux mètres, accumulé depuis mon dernier passage, à déblayer avant de pouvoir entrer et continuer à composer.]
27 avril 2019 – La Nef – Québec
[Note, 2023 : photo prise en répétition, la veille de la création du Prologue à Québec]
[Note, 2023 : partition vidéo graphique (telle que projetée pour le public) et enregistrement sonore complet de la création du Prologue au Désert mauve, tel que capté lors de sa création à Québec]
16 mai 2019 – Salle Pierrette-Gaudreault – Jonquière
[Note, 2023 : photo prise en concert, au Festival des musiques de création de Jonquière. L’ensemble interprétait aussi une première version de ma pièce je suis calme et enragé·e, qui fait l’objet de cette photo, aucune photo de la prestation du Prologue n’ayant été prise ce jour-là]
Mardi 2 Juillet 2019
Repas avec Nicole aux enfants terribles
Nous parlons de la forme à venir.
Un paysage articulé autour de
> Mélanie > personnage
> Maude > traductrice
> Laure > autrice
Avec les autres personnages en emergence, à l’arrière-plan.
Un vent circule dans le paysage, dans le background thinking.
(Croquis)
Le vent qui traverse
– les têtes
– le background thinking
– l’ombre
Et le paysage, derrière
9 clefs > x 3 personnages
Version de Jonquière
> doute à 4 : 50 > la voix
Rage de vivre (moi) / emportement soif de vivre (mélanie)
> Force vitale.
Emportement vivant vers l’horizon // Mélanie
Un peu de colère,
Mais pas de rage
Moins punk (no future)
Pas révolutionnaire
> plutôt à la fois philosophe et subersive
Enthousisame de Nicole lié à science, à la complexité de l’être humain.
Jouir de la vitesse et du mouvement, de l’excès
J’men fous, j’m’en câlisse,
GOD
> Comment la voix s’inscrit dans cette respiration
Beauté > moment où on comprend les choses et qu’on a envie d’emportement
Compréhension > prendre avec soi
Beauté > compréhension / prendre avec soi > emportement > soif de vivre
[Note, 2023 : élément de partition n’ayant pas servi pour cette phase du projet, mais qui sera gardé en réserve pour la prochaine phase, soit Le Désert mauve – un livre à traduire]
Symon Henry
À : Nicole Brossard
ven. 23 août. 2019 à 10:44
Chère Nicole,
C’est avec plaisir que je t’écris ces quelques mots d’Ostrava, en Tchéquie, où je suis depuis déjà deux semaines pour superviser les répétitions d’une de mes pièces. Les ambiances et les humanités, ici, sont toutes pleines de lumières et de belles ambivalences : je t’en envoie quelques impressions en pièce jointe. J’ai aussi présenté l’enregistrement du Prologue au Désert mauve à plusieurs collègues ici et j’ai été soufflé par le positif de leurs réactions. Je crois que nous sommes décidément dans une direction très inspirante et emballante !
Quelques rappels forts, aussi, de la chance que j’ai de vivre à Montréal plutôt qu’en Europe de l’Ouest en tant que personne queer… la participation de quelques amix et de moi-même au tout premier défilé de la fierté d’Ostrava, sous haute surveillance policière et en présence d’importants contingents néonazis, en ont été un rappel brutal. Heureusement, tout s’est néanmoins déroulé dans le calme, malgré l’évidente peur qui nous tenaillait.
Bien désolé, sinon, pour la lenteur de mes réponses : l’horaire de travail, ici, est incroyablement chargé.
À rebours de ton premier message, j’avais demandé 1000 $ au Conseil des arts du Canada pour les droits d’auteure et ton travail dramaturgique pour les deux premières phases du projet (soit la création de la version de 20 minutes, puis de celle de 40 minutes). Comme il y a une bonne incertitude sur l’échéancier pour la version de 40 minutes, je serais tout à fait à l’aise de te verser l’entièreté du cachet prévu dès maintenant plutôt qu’en (probablement) février 2021. Tu peux simplement m’envoyer une facture et je pourrai te faire un virement interac ou autre. Est-ce que le montant te convient toujours, maintenant que tu as une meilleure idée du temps et de l’énergie que le projet demande ? N’hésite vraiment pas à me le dire si ce n’est pas le cas : les montants attendus, en tout respect du travail de chacun·e, varient tellement d’un milieu à l’autre qu’il est souvent difficile, en multidisciplinaire, d’être 100 % certain·e d’être dans le bon « registre » financier.
Concernant la technicité de l’opéra, je te remercie pour cette question qui m’emmène moi-même à me la reposer. La vision que j’ai du projet évolue constamment, et il est tout à fait précieux de prendre le temps de coucher sur papier où l’on en est.
Au début du processus, j’envisageais ceci :
environ 2 heures
assez grand espace scénique pour contenir les musicien·nes, les voix, les éléments scénographiques… soit de l’ordre de la grande salle du Centaur ou la salle Pierre-Mercure du Centre Pierre-Péladeau, mettant de l’avant une acoustique intéressante
orchestre à corde (environ 30-40 musicien·nes) + 2 artistes électroacoustiques + 1-2 instruments à vent
de 6 à 8 voix
visuel et éclairage fortement lié aux partitions graphiques
éléments textuels : un équilibre entre des passages que j’appelle « d’état » (philosophique, sensoriels, etc.), « dramaturgiques » (suivre le fil de l’histoire), et les dialogues.
Suite au Prologue, je questionne beaucoup de ces éléments. Certains me semblent toujours à propos, d’autres ne me semblent pas assez miser sur ce qui fonctionne bien dans le Prologue et, finalement, d’autres sont totalement remis en question.
Côté durée, j’ai encore l’envie de viser environ 2 heures, mais je questionne beaucoup cette durée. Peut-être avons-nous besoin de plus de temps pour avoir une meilleure prise sur l’ensemble de l’univers du Désert, pour prendre le vrai temps nécessaire à ce parcours ?
Ou peut-être vaut-il mieux viser quelque chose de plus court, assumer plus l’incomplétude de l’aventure, choisir des angles plus précis et assumer une lecture plus « impressionniste » de l’œuvre ?
À ce stade-ci, les deux voies me semblent tout aussi intéressantes et j’aimerais beaucoup en discuter plus avec toi et Denis/Stéphanie avant de choisir. Une intuition plus viscérale me pousse vers le temps long — apprivoiser une temporalité à contre-courant des impératifs de rapidité, prendre le temps de vivre la profondeur de cet opéra, de cette longue aventure. Mais une autre part de moi m’encourage à peaufiner un objet scénique plus articulé, plus centré, plus clair et rythmé.
Je poursuis la réflexion à ce sujet en gardant en tête cette phrase qui obsédait l’un de mes compositeurs préférés, Luigi Nono : marcheurs, il n’y a pas de chemin, il n’y a qu’à cheminer (“Caminantes, no hay caminos. Hay que caminar”).
En aparté, cette œuvre de Nono qui m’inspire quotidiennement, entre autres en lien avec le projet qui nous occupe ici : https://youtu.be/nV5IE0FBmmM
Espace scénique : j’ai l’impression, à présent, qu’une certaine intimité est nécessaire. La taille que j’envisageais au début est probablement trop grande. Peut-être qu’un espace tels celui de l’Espace Go ou la petite salle du Centaur fonctionnerait mieux.
Musicien·nes : j’envisage maintenant un ensemble vraiment sur mesure plutôt qu’un ensemble constitué. J’ai l’impression que chaque instrumentiste doit être choisi·e avec attention pour sa personnalité propre, puis pour son instrument. Au jour d’aujourd’hui, je visualise un ensemble qui triplerait approximativement celui du Prologue (3 voix, 3 cordes, 3 vents, 2 artistes électroacoustiques + 1 percussion). Je vais continuer à y penser, mais peut-être que j’essaierais d’y aller pour un ensemble de ce type pour l’étape « 40 minutes », puis reconsidérer l’instrumentation finale en fonction de ce que cette instrumentation-là offrirait de possibilités. Je n’exclus pas du tout de revenir au grand orchestre pour la version « finale ».
Visuel et éclairage : j’ai vraiment besoin des intuitions de Denis et Stéphanie, à ce stade-ci, pour faire évoluer l’impression scénique de la proposition. Je ne veux pas trop continuer à m’avancer sur ce terrain au risque de limiter leur créativité. J’aimerais beaucoup, cependant, qu’illes trouvent une manière d’intégrer les partitions graphiques à leur proposition. Je pense de plus en plus qu’elles doivent faire partie de l’équation visuelle, sans nécessairement être omniprésentes.
Rapport au texte : c’est LA question qui m’obsède, en ce moment, et liée de manière très intime à la question de la durée, mentionnée plus haut. Je pense que ces deux questions seront résolues en parallèle. A priori, j’ai l’intention d’avancer vers l’étape « 40 minutes » en continuant d’explorer des pistes contrastantes, et en ayant en tête le schéma incroyablement porteur auquel nous sommes arrivé·es lors de notre dîner du mois passé. J’aimerais t’en dire plus, et surtout être plus concret dans ma proposition, mais j’en suis présentement encore à l’étape de jachère avant de poursuivre la route. J’ai très hâte de poursuivre la discussion avec toi et de voir quelles sont les voies les plus porteuses de sens !
Ceci étant dit, je vois que nous serons en parallèle occupé·es par d’autres projets à terminer en septembre. Je te souhaite un magnifique temps créatif et j’ai très hâte de découvrir cette nouvelle proposition que tu nous réserves.
Concernant Marie Gignac, je ne l’ai pas encore rencontrée, mais ce que tu écris est de bon augure. À suivre !
En terminant, je voulais te dire à quel point ça me touche que tu investisses ce projet avec tant de profondeur. Je te remercie d’avance pour toutes ces écoutes du Prologue. Tiens-moi ponctuellement au courant, si tu le peux et le veux, des pistes de réflexion qui te viendront !
Au grand plaisir, chère Nicole.
Symon
[Note, 2023 : motif central de la partition du projet, qui m’habitera de plus en plus]
Nicole Brossard
À : musicien compositeur, poète
ven. 30 août 2019 à 11:28
Cher Symon,
Tu dois être en train de récupérer de ton magnifique séjour à Ostrava.
A travers quelques images sur Facebook, cela m’a semblé une bien belle et forte expérience et cela me faisait plaisir de te voir saluer un public enthousiaste.
Oui, vivre à Montréal est exceptionnel et ne rien perdre des droits acquis sera sans doute une lutte plus qu’on ne le pense.
Merci pour ta réflexion et tes réponses. J’ai bien noté chacune de tes remarques sur l’avant et l’après Prélude. Et je crois comme tu le dis ainsi que Luigi Nono qu’il faut cheminer. Je serai disponible pour tout élément de questionnement et de réflexion que tu voudras partager.
Je vais me concentrer sur les éléments textuels mais j’imagine que plusieurs se préciseront pendant et après notre rencontre avec Denis et Stéphanie.
Repose-toi bien, si cela est possible, et au grand plaisir du futur.
Nicole
(Ci-joint la facture telle que précisée dans ton message.
Est-ce que tu peux me faire un bon vieux chèque plutôt qu’un paiement par Interac.)
Symon Henry
À : Nicole Brossard
jeu. 12 sept. 2019 à 11:25
Chère Nicole,
Je suis effectivement à récupérer de mon séjour à Ostrava dans le décor enchanteur (et si contrastant !) de Maria, dans la baie des Chaleurs, où je suis en résidence de composition pour le mois. Alors que je me sentais en constante réaction en Tchéquie, d’émerveillement ou de révolte, je me sens ici totalement en phase avec le lieu et les gens. Un tel apaisement est certainement des plus bénéfique. J’espère que ton projet d’écriture avance bien, de ton côté, et que tu profites de l’automne qui s’emmène.
Petite note terre à terre avant de poursuivre avec des réflexions plus profondes : merci pour ta facture ; je viens de me commander des chèques (crois-le ou non, je n’en avais encore jamais eu besoin !) et devrais les recevoir à Montréal d’ici une dizaine de jours. Je te posterai donc ledit chèque dès mon retour le 27 septembre. Désolé·e pour le temps d’attente, j’essaie habituellement d’être bien plus efficace dans le règlement de mes factures.
Autrement, suite à notre dernier échange, j’ai eu le bonheur de rencontrer trois compositeur·rices de grand intérêt, à Ostrava, avec qui j’ai pu avoir de longues discussions autour de notre projet. Comme je te sais attentive aux mouvements de la pensée sous-tendus par le projet d’opéra, je me permets de te les partager ici. N’hésite pas à me répondre par courriel ou à attendre une rencontre prochaine pour en discuter – comme tu préfères !
Tout d’abord, de manière générale, ces deux questions, qui m’ont frappé·e comme des évidences en écoutant le Prologue en leur présence :
– J’ai réalisé que nous n’avions que très peu abordé la question du mouvement géographique, ensemble. Et pourtant, c’est bien évidemment au cœur du Désert mauve. Aussi, cela semble être au cœur de ta vie et de ta démarche d’artiste, si j’ai bien compris. Tu m’as glissé quelques mots sur ton intérêt (besoin ?) pour le déplacement, de vivre constamment l’ailleurs. Ai-je bien saisi le besoin, l’importance de cette question ? Que permet, selon toi, ce constant mouvement du corps et de la pensée d’un lieu à l’autre ? Que permet-il pour Mélanie, pour Maude ?
– La seconde question est un dérivé de la première. Serait-il possible que les personnages principaux du Désert mauve soient les lieux eux-mêmes, traversés de pensée et de beauté ? Que les personnages « humains » articulent, en fait, ces lieux ? Peut-être n’est-ce que de la projection de mes propres préoccupations !
Ces questions posées, j’ai donc tout d’abord rencontré Peter Ablinger, un compositeur autrichien qui m’avait donné les premières poussées de grande liberté vers l’explosion de mon langage visuel en musique, en 2013. Je garde de cette nouvelle rencontre l’idée suivante, en forme d’énigme, qu’il m’a partagée : il me suggère d’explorer plus, pour Le Désert mauve, l’axe allant de partitions graphiques abstraites vers des partitions graphiques paradoxales. Il me donnait, à titre d’exemple (ne clarifiant pas vraiment sa pensée, mais ouvrant toutefois des pistes intéressantes), ces études qu’il a réalisées en 1988 pour l’un de ses propres projets : https://ablinger.mur.at/zettel_ueber_notation.html
…il n’y a qu’à cheminer, disions-nous !
Le second compositeur, Marc Sabat, m’a emmené·e du côté plus de la technicité musicale de la partition. Je t’épargne les détails plus prosaïques de notre conversation, sinon pour souligner le fait qu’il résonnait tout particulièrement avec la vision « à trois personnages » de l’opéra, le potentiel de contrepoint à faire surgir de ce trio.
La rencontre la plus marquante fut certainement celle avec Chaya Czernowin, une compositrice israélienne que j’ai aussi connue en 2013 et qui a composé, selon moi, les opéras les plus intéressants des 30 dernières années. Elle fut la plus emballée, et donc la plus critique des trois. Elle m’a tout d’abord encouragé·e à travailler l’aspect trop sectionné du Prologue, à chercher une plus grande fluidité, à être moins systématiques dans l’utilisation de fragments de une à deux minutes. C’est une critique que je garderai effectivement en tête pour la suite.
Je lui ai ensuite parlé des deux options de durées et rapports au texte que je t’ai présentées dans mon dernier courriel.
Elle a reformulé la question ainsi : dois-je aborder la suite du projet dans une perspective de liberté travaillée et encadrée (apollinienne) ou bien me dire que la traduction en jeu ici est « from the book to my own soul » ? Elle m’a fait réaliser que j’ai mis de côté la deuxième partie de cette équation ; elle me suggère d’essayer de voir jusqu’où je peux aller en cessant de me limiter. Selon elle, j’ai mis beaucoup d’efforts à créer un cadre qui fonctionne bien et elle me pose la question suivante : « When is it ok to risk the frame ? To break the acoustic space ? ».
De là, j’ai commencé à me réapproprier des envies de temporalité que je m’étais abstenu·e d’envisager plus tôt, par réalisme et humilité possiblement contre-productifs.
Nous avons cheminé, Chaya et moi, en réfléchissant à des manières d’articuler la téléologie de l’opéra, possiblement en explorant deux dimensions :
– la dimension de l’histoire, proche du temps de lecture du roman ; un temps d’action, narratif
– une dimension plus sculpturale, plus chorale, une chambre d’échos du roman ; un temps musical
Peu importe si cette piste est suivie ou non, nous nous sommes dits que, dans ce projet, « Time must unfold at different speeds, in different ways ». Le Prologue, par exemple, pourrait être encastré (serti ?), comme une sorte d’objet trouvé, dans un tout plus large, d’une autre temporalité. Que de nombreux « instants », similaires audit Prologue, pourraient être « trouvés » au fil du chemin. Un opéra en forme de « situation », plutôt que de « récit ». Pourquoi ne pas envisager une durée folle – 8 heures, par exemple…. de très nombreux exemples de durées de ce type existent en musique contemporaine –, une sorte d’installation opératique où les spectateur·rices pourraient possiblement aller et venir à leur guise ? Peu importe la durée finale, il est vrai que je me sens pressé·e par le temps qui passe trop vite dans une durée courte et que je ne vois pas comment laisser respirer ma musique sans détendre le fil du temps.
Cela soulève évidemment de nombreuses questions pratiques, mais peut-être faut-il que j’accepte de tordre la pratique pour coller à l’imagination, plutôt que le contraire ?
J’espère que ce long courriel te semblera fécond en idées rafraîchissantes. Peut-être suis-je simplement emporté·e par la puissance des rencontres faites en Tchéquie et qu’il me faudra rapidement revenir à une vision plus pragmatique du projet. Dans tous les cas, je suis vraiment porté·e de bonheur de vivre cette aventure en résonance avec tes mots, ton univers et, surtout, ton humanité.
Au grand plaisir,
Symon
Nicole Brossard
À : Symon Henry
lun. 16 sept. 2019 à 13:16
Très cher Symon,
Merci pour ce courriel si stimulant et pardonne-moi d’avoir tardé à te répondre.
J’imagine la vitalité et la richesse de ces trois conversations.
Je vais essayer de répondre à la question de l’ailleurs qui est toujours un espace de liberté, mais je dirais surtout que c’est cet extrême présent qu’est le temps du mouvement entre ici et là-bas qui est et nourrit celui de la liberté d’esprit et de la création. C’est comme regarder la mer. L’esprit se vide paisiblement puis à nouveau s’emplit mais cette fois-ci de la matière neuve, d’une nouvelle configuration des mots, des images et des sons. Le vide est ici une zone riche en bien-être et disponibilité, de là sans doute la nouvelle énergie et ses frasques de création.
Non, les personnages principaux ne sont pas les lieux eux-mêmes qui ont d’ailleurs leur propre charge symbolique.
C’est le désert qui tisse le tout de sa beauté, violence ou désir de vie, de vitesse ou d’écriture qui par définition est un ralenti qui permet de tout voir ou de mieux distinguer le détail.
Concernant les propos de Peter Ablinger, il faudra que tu m’expliques, peut être à nouveau partitions graphiques paradoxales. Je n’arrive pas à comprendre le mot paradoxal dans ce contexte.
Ce que dit Marc Sabat, sur la vision à trois personnages de l’Opéra, me semble intéressant dans mon imaginaire de néophyte. Chose certaine, nous avons au moins deux trios- personnages : Mélanie-Kathy Kerouac et Lorna Myher /ainsi que Mélanie- Angela Parkins et l’Homme long. L’amour et la mort sont au cœur des deux surtout dans le 2e trio.
Mais au cœur du premier trio il y a aussi la violence civilisationnelle qui représente la mort.
En ce qui concerne les propos de Chaya Czernowin, je ne peux en juger ainsi que de leur effet musical.
L’important c’est l’écho qu’ils ont en toi. Chose certaine, la traduction ne peut être que « from the book to my own soul » car c’est je crois ce qui fonde ton choix du livre pour ce projet d’opéra.
J’aime beaucoup : « Time must unfold at different speeds, in different ways » et la notion de serti.
Tout ce que tu m’écris est stimulant, intriguant intellectuellement et émotionnellement. Par contre, j’ai intuitivement un peu de distance à l’idée de 8 heures. La durée ne peut-elle être aussi exprimée en trois heures ou deux heures. C’est-à-dire se cacher dans la musique elle-même de manière ostentatoire, ce qui bien sûr est paradoxal par rapport au verbe se cacher. Et question :
La durée est-elle la même si on est assis.e ou debout, ou debout en marchant. La durée est-elle la même si on parle. Qui commande le corps pendant la durée : le corps lui-même, le compositeur, le confort ou l’inconfort, les temps de silence?
La durée est-elle liée à l’immensité, à un horizon ou la mesure-t-on à la fatigue et à l’endurance performative?
Cela dit, je trouve très intéressante l’idée de situation plutôt que de récit car il y a là un véritable choix existentiel.
J’attendrai de tes nouvelles au sujet de notre rencontre avec Stéphanie et Denis et aussi d’une rencontre avec toi quant aux nouveaux éléments que ton voyage à permis de faire advenir.
C’est pour moi aussi un bonheur ressourçant que ce projet avec toi.
Au plaisir,
Nicole
[Note, 2023 : extrait de partition le plus intense du Prologue]
Détails de créations/diffusions et liens d’écoute
Le Désert mauve – Mauve l’Horizon (2022, 180’)
- partition graphique performative pour trois artistes vocaux et ensemble (texte : Nicole Brossard ; lutherie numérique : Alex Burton)
- création (extraits) : 15-16/10/22, coll. Ad lib, projet DIG ! (Ausgang Plaza, Mtl) ; 03/23, coll. Ad lib (New Music Edmonton; New Works Calgary)
- Voix : Virginie Mongeau, Talia Fuchs, Elizabeth Lima
Ensemble : Benoît Fortier (cor), Julie Houle (tuba), Émilie Mouchous (Korg), Alexandra Tibbitts (harpe), Rémy Bélanger de Beauport (violoncelle), Ana Dall’Ara-Majek (électronique et thérémine)
Symon Henry : direction artistique et musicale ; remixage de partitions graphiques en temps réel
Line Nault : codirection artistique
David Savoy et Vanessa Blais-Tremblay : coordination, projet DIG!
Guillaume Barrette : sonorisation, régie et direction technique
Alex Burton : lutherie numérique
- Une coproduction du projet DIG! (Différences et inégalités de genre dans la musique au Québec) et de Symon Henry/Ensemble Ad Lib, rendue possible grâce aux soutiens du Conseil des arts du Canada, du Conseil des arts et des lettres du Québec, du Conseil des arts de Montréal, du Fonds de recherche Québec — Société et Culture (FRQSC), du Centre interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ), de Rhizome et du Vivier.
Le Désert mauve (Angela Parkins) (2021, 12’)
- partition graphique pour piano solo
- création : 20/11/21, Symon Henry, Trans Fest Stockholm (Suède)
- endisquée sous étiquette Cuchabata Records (2022)
Le Désert mauve – un livre à traduire (2021, 60’)
- partition graphique pour trois artistes vocaux et ensemble (texte : Nicole Brossard)
- création : 22/05/21, coll. Ad lib (Mois Multi, Québec)
- Voix : Sarah Albu (Mélanie 1), Catherine Debard (La narratrice), Talia Fuchs (Mélanie 2) Ensemble : Émilie Mouchous (artiste électroacoustique), Benoît Fortier (cor), Rémy Bélanger de Beauport (multi-instrumentiste) Direction artistique et musicale : Symon Henry Coach d’interprétation et accompagnement : Line Nault Lutherie numérique : Alexandre Burton (studio Artificiel)
- Appui : Conseil des arts du Canada, Conseil des arts et des lettres du Québec
- Prologue au Désert mauve (2019, 18’)
- partition graphique pour artiste vocale et ensemble (texte : Nicole Brossard)
- Sarah Albu, artiste vocale Rémy Bélanger de Beauport, violoncelliste Benoît Fortier, corniste Symon Henry, direction artistique et musicale Émilie Payeur, artiste électroacoustique
- avant-première : 22/04/19, arrangement pour Lore Lixenberg (mezzo-soprano) et Timo Kinnunen (accordéon), Université d’Oulu (Finlande)
- création : 26/04/19, coll. Ad lib (Festival Erreur de type 27, Québec)
- reprise : 16/05/2019, coll. Ad lib (Fest. des mus. de création, Jonquière)
- Appui : Conseil des arts du Canada
1Au moment de la rédaction de ce journal de création, j’employais encore le masculin pour me désigner – alors que j’emploie à présent plutôt le pronom ielle et des accords non-binaires. Comme un processus de visibilisation et d’auto-compréhension de ma transidentité s’est faite en parallèle à la rédaction du présent journal, j’ai choisi de ne pas corriger ces accords. [retour au texte]
2 Résumé du Désert mauve par les éditions TYPO lors de la réédition du livre, en 2011. [retour au texte]
3 https://voir.ca/pierre-luc-senecal/2018/11/03/symon-henry-des-ecouteurs-dans-tes-yeux/ [retour au texte]
4« Émulsion vinylique extra-fine, Flashe est une peinture au fini mat ultra couvrant sur tous les supports. Maintenant disponible en 76 couleurs, dont 38 teintes mono-pigmentaires parfaitement compatibles avec les autres gammes. Le nouveau nuancier présente également une offre élargie de couleurs iconiques avec 6 couleurs fluorescentes et 12 teintes iridescentes. » https://www.lefrancbourgeois.com/fr/flashe/ Ce matériau m’est particulièrement chère pour ses couleurs vibrantes, sa texture particulière, et la qualité de ses teintes lorsque travaillé en transparence, ou en cohabitation avec d’autres matériaux – encre de chine et graphite, tout particulièrement. [retour au texte]
5 Le montage vidéo de la partition graphique, qui sera réalisé après numérisation des tableaux sonores physiques. [retour au texte]
6 Ces deux phrases sont répétées à plusieurs reprises par Mélanie, puis citées par Maude Laures, à travers le livre. [retour au texte]
7 p. 1/11 du livre. [retour au texte]
8 Denis Marleau et Stéphanie Jasmin, avec qui nous avions des échanges préliminaires pour qu’ielles mettent en scène la prochaine étape du projet. [retour au texte]
9 je suis calme et enragé·e verra finalement le jour en février 2021, grâce au soutien des Productions SuperMusique, du Conseil des arts du Canada et du Conseil des arts et des lettres du Québec. [retour au texte]
10 Je remercie d’ailleurs Pierre-Olivier Roy d’Erreur de type 27 et André Duchesne du Festival des musiques de création du Saguenay, premiers diffuseurs de la version préliminaire du projet. [retour au texte]
11 Benoît Fortier, corniste. [retour au texte]
12 Rémy Bélanger de Beauport, violoncelliste. [retour au texte]