paroles tenues

Production • Rhizome et le Cercle – Lab vivant
Artistes et collaborateur·trices • Samuel Archibald, Juan Torres,
Florence Piron, Esther Rochon, Guillaume Latzko-Toth,
Stéphane Leman-Langlois, Marc Séguin,
Maya Cousineau Mollen et Yvan Simonis
Animation • Florence Piron, Matthieu Dugal et Nicolas Belleau

Les Productions Rhizome et Le Cercle – Lab vivant s’associent une fois encore pour présenter la série Paroles tenues : littérature et citoyenneté. Trois rencontres organisées autour de trois thématiques auxquelles trois personnalités issues d’univers littéraires différents apporteront leurs voix et leurs réflexions. Chaque rencontre mettra en présence un auteur et deux autres reliées au thème choisi. Un animateur liera les argumentaires proposés. 

Paroles tenues se veut être un laboratoire dans lequel la littérature s’affirme certes comme lieu de libération de la Parole mais aussi comme mise pouvant servir de terreau et de relance aux autres formes de discours, qu’ils soient politiques, philosophiques, économiques, esthétiques, etc.

L’objectif de cette série est de permettre d’initier des réflexions en dehors des lieux traditionnels et de la catégorisation des discours tout en laissant la parole citoyenne se déployer, mener à de nouvelles avenues de pensée et idéalement de passages à l’acte.

Paroles singulières, discours hégémoniques – 24 février 2016 

Paroles sous surveillance, création et aliénation – 26 avril 2016

Paroles libres, les lieux de l’enfance – 16 novembre 2016


Paroles libres, les lieux de l’enfance – 16 novembre 2016

paroles tenues

Cette troisième et dernière rencontre de la série Paroles tenues portera sur le thème Paroles libres, les lieux de l’enfance. Nos invités sont Samuel Archibald (auteur), Juan Torres (urbaniste et professeur) et Florence Piron (anthropologue et éthicienne), qui anime également cette soirée. 

Paroles libres, les lieux de l’enfance 

« Changer l’homme? En quoi cela consiste-t-il? Cela consiste à demander à chacun : quel est ton désir propre? Ton désir, parlons-en. Quiconque s’attache à écouter la réponse des enfants est un esprit révolutionnaire. Les autres soi-disant révolutions ne changeront rien. »
– Françoise Dolto

Cette rencontre a été imaginée à partir du constat suivant : il existe dans la Cité peu de lieux et/ou d’occasions qui permettent à la parole de l’enfant et des jeunes de se déployer et d’inspirer des initiatives qui considèrent réellement leur apport.

Mis à part le milieu scolaire qui en général s’emploie à « formater » cette parole et le milieu familial qui, étant du domaine privé reste une donnée difficilement mesurable, nous constatons que la parole de l’enfant est fort discrète sur la scène sociale. 

Quand elle est prise en compte, l’enfant est souvent transformé en petit consommateur en devenir, comme individu à prendre en charge ou comme futur adulte plutôt que comme acteur de son propre développement, consulté à propos des enjeux qui le concernent.  

Quels sont les lieux ou quelles sont les scènes qui l’invitent à manipuler et à verbaliser ses actes et ses pensées dynamiques, à en découvrir la puissance de création et d’innovation? 

Tous les jours, le fil de l’actualité nous fait prendre acte que « les valeurs qui soutenaient les projets de société perdent de leur pertinence et leur caractère de recevabilité pour les nouvelles générations » qui n’y trouvent plus réponse à leurs aspirations profondes et leurs exigences en manque d’avenir. « Cet état de fait entraine la nécessité logique de nouveaux fondements, de nouveaux ensembles sociaux » qui devront trouver leur émergence dans l’esprit et le corps des enfants. 

Immergé dans ce monde en pleine mutation qui l’entoure et l’interroge, l’enfant doit faire l’expérience qu’il peut trouver dans la parole une ressource qui fait exister sa singularité dans l’espace commun du dialogue avec les autres.

Sans dire que l’enfant a toujours raison sur ce qu’il avance, il est urgent de considérer sa pensée en train de naitre, mais surtout de la placer au centre d’une recherche plus vaste qui considère que l’être humain à l’état d’enfance est notre égal. Si l’on pose que l’enfant nait et grandit entre autres en fonction des représentations de l’enfance propres à son entourage et à son époque, il faut agir sur ces représentations à partir de « l’énigme lumineuse », non prévisible, que peut faire apparaitre le questionnement de l’enfant sur la condition humaine.

R. Levin, psychanalyste argentin, soutien que « L´enfance a plus de pouvoir que la politique parce qu’elle incarne le manque de réponse aux questions sur la condition humaine. » Mais, par définition, la politique doit éliminer/intégrer tout pouvoir qui défie le sien. Ce qui est tragique est le suivant paradoxe : le pouvoir de l’enfance est subi par le plus fragile des humains; l’enfant.  

Il postule aussi que comme conséquence de cette idéologie, l’enfant devra endurer des privations éducatives, sanitaires et alimentaires causées par des politiques économiques qui le négligent et le regardent du coin de l’œil.

Bien sûr, des organisations telles l’UNICEF ou l’ONU travaillent depuis plusieurs années à faire reconnaitre les droits de l’enfant. En 1989 était ainsi signée à L’ONU la convention internationale relative aux des droits de l’enfant. L’initiative mondiale de l’UNICEF appelée Villes amies des enfants (Municipalité amie des enfants, au Québec) favorise également l’application des principes énoncés dans cette Convention par les gouvernements locaux.

Une Ville amie des enfants publie périodiquement des rapports sur la situation des enfants de sa communauté dispose d’un défenseur indépendant des droits de l’enfant, offre des mécanismes permettant aux enfants de faire entendre leur voix et met en œuvre d’autres mesures essentielles qui tiennent compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’élaboration et la coordination des politiques, des services et de toute autre action prise par le gouvernement. 

Cependant, notre Ville est-elle dotée de mécanismes de gouvernance qui permettent aux enfants de participer à la prise de décisions ayant une incidence sur leur vie?

Par Caroline Simonis, Le Cercle, juin 2016. 


PAROLES SOUS SURVEILLANCE, CRÉATION ET ALIÉNATION 

paroles tenues

Pour cette deuxième rencontre de la série Paroles tenues, le thème Paroles sous surveillance, création et aliénation a été retenu. Afin de soutenir la discussion autour de ce thème, nos invités sont Esther Rochon (écrivaine), Guillaume Latzko-Toth (professeur de communication, Université Laval) et Stéphane Leman-Langlois (professeur de criminologie, Université Laval). C’est Matthieu Dugal qui a assuré l’animation de cette rencontre du 26 avril au Cercle!

Comment la technologie génère des systèmes de surveillance et d’auto-surveillance volontaire

Naturellement, il n’y avait pas de moyen de savoir si à un moment on était surveillé. Combien de fois, et suivant quel plan, la Police de la Pensée, se branchait-elle sur une ligne quelconque, personne ne pouvait le savoir. On pouvait même imaginer qu’elle surveillait tout le monde, constamment… On devait vivre, on vivait, car l’habitude devient instinct, en admettant que tout son émis était entendu et que, sauf dans l’obscurité, tout mouvement était perçu.
– George Orwell, 1984

Avec l’avènement des technologies de l’information et des communications, nous vivons aujourd’hui à l’intérieur d’un vaste champ d’images, d’algorithmes et de métadonnées qui nous définissent, dissèquent ce que nous sommes, ce que nous pensons et ce que nous consommons tant dans l’espace que dans le temps. Si nous jouissons sans trop de pudeur et parfois avec beaucoup d’insouciance de cet extraordinaire potentiel mis à notre disposition en quelques clics, faut-il rappeler que l’ensemble de ces informations peut être analysé et exploité par les gouvernements mais aussi par le secteur privé, et même criminalisé, souvent à notre insu ou sans notre consentement. 

Plusieurs s’inquiètent de la montée en puissance de la capacité de surveillance développée au fil des ans, prétextant que « Big Brother » n’est plus une fiction mais une réalité qui a pour nom Google, Apple, Facebook, Amazon, ou encore agences nationales de sécurité, centrales de renseignements, etc. Exagération, théorie du complot farfelue? Ne sommes-nous pas déjà entrés de plain-pied dans ce que Michel Foucault décrivait dès 1975 (dans l’ouvrage Surveiller et punir : Naissance de la prison) comme « une société non du spectacle mais de la surveillance. Nous ne sommes ni sur les gradins, ni sur la scène, mais dans la machine panoptique, investis par ses effets de pouvoir que nous reconduisons nous-mêmes puisque nous en sommes un rouage ». 

Quarante ans plus tard, le constat n’est que trop vrai et chaque jour la machine grossit, imposant ses codes et ses règles aux utilisateurs dont le nombre ne cesse d’augmenter. Aux dires de certains, nous n’avons encore rien vu. La révolution quantique, le “deep learning”, les progrès de l’intelligence artificielle ou des réseaux de neurones artificiels ouvriront de nouvelles avenues pour le meilleur mais aussi pour le pire, un pire qui nous laissera, malgré les promesses de liberté et d’accessibilité aux savoirs, toujours plus dépendants et plus fragiles au cœur de la machine que nous alimentons de notre intimité pour prouver et se prouver que nous existons. 

Dans le contexte actuel d’insécurité — réel, supposé voire exagéré —, la surveillance est devenue un véritable enjeu — et un marché — qui permet de justifier la mise en place de politiques de gestion et de contrôle de l’information. La vidéosurveillance en est un parfait exemple, présente partout dans les villes et pas seulement dans les grandes agglomérations, braquant sur nos moindres faits et gestes un regard omniprésent et omnipotent. Nombreux sont ceux qui dénoncent cette dérive sécuritaire mise en place par les pouvoir publics prétextant une aliénation de l’espace public où l’individu, se sachant surveillé, s’assujettit de lui-même au cadre normatif édicté par l’autorité surveillante et peut ou même doit devenir sujet de surveillance et rapporter tout comportement jugé « inapproprié ». La délation est encouragée, s’organise, et nous devenons tous des cibles potentielles. 

Tandis que chercheurs, spécialistes en cybersécurité et « bidouilleurs » géniaux tentent d’élaborer et de mettre en place des contrepouvoirs capables de garantir aux utilisateurs une certaine confidentialité quant aux informations échangées (notamment par le cryptage), plusieurs artistes ont mis à profit ces technologies pour en faire des créations artistiques en les détournant pour mieux les questionner. C’est notamment le cas de l’artiste canadien David Rokeby qui – selon Léa Snider – « par le biais de ses propres logiciels de création (…) cherche à redéfinir l’esthétique de la vidéosurveillance. La singularité de son art provient d’un intérêt marqué pour la dimension temporelle des œuvres et d’une exploration continue de l’œuvre numérique de surveillance au-delà du principe commun de l’interactivité. » 

Paroles sous surveillance, création et aliénation est aussi l’occasion d’aborder la question de la liberté d’expression, du contrôle de l’information et de la censure dans un contexte de mondialisation des savoirs et de concentration des sources de diffusion aux mains de quelques-uns. 

Mot de l’autrice Esther Rochon

J’écris des livres, et depuis longtemps. De nos jours, mon écriture, en science-fiction et fantastique québécois, est un « produit de niche ». Je dis des choses qui ne résonnent pas au premier degré avec les questions de l’heure ; je ne suis pas remarquablement sentimentale ; mon message ne rejoint pas les priorités de la majorité ou des décideurs.

Pour écrire, et pour mener ma vie en général, je me tiens informée. Ainsi, je sais qu’on est surveillé quand on circule sur l’Internet, et qu’il peut arriver des ennuis tels que le vol d’identité. Dans d’autres pays, ce sont de véritables tragédies, l’emprisonnement, la torture ou la mort qui peuvent découler de paroles ou d’écrits diffusés. Les grandes causes liées à la liberté d’expression, proches du journalisme et de l’actualité, sont nobles. Je me réjouis que ces causes et ces problèmes mobilisent des gens, et puisse la liberté triompher ! 

Mais la censure, pour moi, ce n’est pas seulement une question de surveillance par des gouvernements.

Ma liberté d’écrivaine de science-fiction et fantastique est de modeste envergure. J’ai l’impression qu’elle a diminué. En 1974, quand j’ai publié mon premier livre, une vingtaine de critiques et de recensions ont paru dans différents journaux, j’ai été interviewée et tout le tralala : je publiais un roman et, du coup, on m’offrait une tribune. Tandis que maintenant, si je publie un livre, il recevra une ou deux critiques, dans une ou deux publications spécialisées. Je peux raconter ce que je veux ; en ce sens, je suis parfaitement libre. Mais je n’intéresse qu’un petit nombre. 

Mon expérience n’a rien d’exceptionnel ; bien des gens des milieux culturels en vivent de semblables. La différence entre les amateurs et les professionnels s’estompe : à quelques exceptions près (et félicitations à ces exceptions !), tous ne tirent, au mieux, que des revenus d’appoint de leurs œuvres. Faudra-t-il redéfinir la qualité d’une œuvre, si un créateur « reconnu » n’a pas plus de visibilité ou de revenus qu’un amateur doté d’un bon réseau d’amis ? 

La place publique me semble un lieu de censure assez strict, où règne une rectitude politique à géométrie variable. Si une œuvre, conçue pour une certaine sous-culture, se voit condamnée à l’aune des valeurs d’un autre groupe, y a-t-il lieu de reconsidérer cette œuvre ? Cette sous-culture se remettra-t-elle en question ? Se cantonnera-t-elle dans sa différence ? L’autre groupe changera-t-il de position ? La mondialisation fait naître toutes sortes de situations qui touchent la censure, volontaire ou non.

À mon sens, il est bon que les écrits foisonnent, des messages textes aux romans. Il y a des exagérations, des médisances, des insultes, des mensonges et toutes sortes de tensions, mais la profusion actuelle va mener quelque part. Chaque livre, chaque message, sage ou fou, intéressant ou non, correctement compris ou non, implique des gens qui vivent cette expérience de communication.

Nous sommes surveillés, certes, et cela fait partie de l’ensemble. Mais tant de gens peuvent malgré tout explorer la parole, à l’échelle planétaire ! Les deux sortes de censure demeurent, celle des autorités qui, dans le but avoué de protéger les citoyens, vont faire de la surveillance, à bon ou mauvais escient ; et celle de la popularité, qui, pour fournir aux gens ce qu’ils veulent comme discours artistique et social, va favoriser ce que le grand public trouve valable. 

La liberté, quelle qu’elle soit, aura toujours un prix.

Esther Rochon, Mars 2016, Montréal.

Sélection de textes et d’articles sur la surveillance et ses détournements dans l’art

Vie privée : faites du bruit pour vous protéger de Google et compagnie

Les arts et la dénonciation de la surveillance 


Paroles singulières, discours hégémoniques – 24 février 2016

paroles tenues

La première rencontre de la série Paroles tenues – littérature et citoyenneté fut l’occasion de se questionner sur le rôle de la parole singulière dans la définition de nos identités individuelles et collectives. Quelle est la place pour la parole individuelle au coeur de la Cité, et ce, dans un contexte de Mondialisation? L’hégémonie étant la logique constitutive de la politique, toujours trouée dans ses fondements, ne peut occuper l’intégralité de l’espace symbolique, mais peut-elle « évoluer » en tenant compte des brèches et des différences qui irriguent le lien social?

Nos invités pour en discuter furent Marc Séguin (artiste et romancier), Maya Cousineau Mollen (militante et poète), qui a remplacé au pied levé l’activiste Michèle Audette, et Yvan Simonis (psychanalyste et anthropologue). 

Le premier volet de la série Paroles tenues – Littérature et citoyenneté suscite en nous un vif espoir : celui d’une rencontre véritable dont les résultats entraineraient la création de perspectives originales authentiques. C’est donc avec un réel plaisir et avec beaucoup de curiosité que nous accueillerons Marc Séguin (artiste et écrivain), Maya Cousineau Mollen (activiste et poète) et Yvan Simonis (psychanalyste et anthropologue).

Trois aspects alimentent particulièrement nos attentes. D’abord, nous savons que la formation d’espaces qui permettent l’aventure d’une réflexion libre n’advient finalement que rarement sur la place publique et nous sommes heureux de pouvoir en ouvrir un avec vous maintenant. Ensuite, l’individualité affirmée des intervenants que nous avons regroupés nous enthousiasme quand elle laisse présager son lot de paroles singulières. Finalement, nous sentons que nos trois invités sont liés par certains courants de pensées souterrains qui annoncent des possibilités exploratoires fructueuses dans la compréhension des devenirs qui nous traversent et auxquels nous participons. 

Pour conclure, si l’événement est toujours éphémère dans sa formulation, ses développements produisent parfois des fruits dans la durée. Le fruit est cette chose qui conjugue en lui la floraison passée, le don immédiat de la chair et l’arbre à venir. 

C’est donc dans ces termes que je voudrais engager la réflexion avec nos trois intervenants en questionnant la nature des fruits qu’ils aimeraient produire par cette rencontre du 24 février prochain

Nicholas Belleau, 25 janvier 2016 à Sainte-Anne-de-Beaupré. 

Galerie photo

Partenaires

Le projet est rendu possible grâce au soutien de l’Entente de développement culturel intervenue entre le ministère de la Culture et des Communications et la Ville de Québec.