Jane Ar

“Depuis que je suis de retour en ville, je vis dans cette chambre temporaire. Blanche, avec ce lit et cette porte vitrée qui s’ouvre pour que je me pavane nue, derrière la moustiquaire. J’erre dans les couvertures devant l’autre Jane Ar de la fenêtre. Elle étire ses jambes devant la vitre, les écarte pour regarder cette noirceur entre ses jambes.“

Jane Ar est une performance d’autrice. Ariane Lessard, seule en scène, détourne le genre du journal en brisant le mur de l’intimité pour dévoiler ce qui est secret au public. Empêchée pendant de nombreuses années à aller vers l’écriture de soi, prégnante de révélations trop intimes, l’alter ego de l’autrice, Jane Ar, procède finalement à son auto engendrement sur scène, en donnant une voix à ses inhibitions. La performance se veut une entrée dans la psyché d’une personnage en proie à des questionnements identitaires, en constante (r)évolution à travers les thèmes de la solitude, du désir et de l’identité. Dans la ville, dans la forêt et en résidence d’écriture, la protagoniste se questionne sur le pourquoi de l’écriture ou ce qui la pousse vers l’acte depuis ses premiers journaux d’enfance, alors même qu’écrire peut s’avérer coûteux, voire incendiaire. Le texte poétique retourne sur les territoires privés de l’enfance et de l’adolescence, en y retraçant la place du genre, du sexe et de l’écriture ainsi que leurs effets sur la manière dont l’autrice s’est forgée. Rédiger des carnets dans l’intimité d’une chambre à la porte close était-il un acte de refoulement au même titre que celui de cacher sa pansexualité, sa fluidité ou son travail du sexe? Jane Ar se veut une performance du dire, l’exhibition des confidences. Les spectatrices·eurs vont alors à la rencontre de Jane Ar et de l’autre Jane Ar, celle qui permettait la construction d’une double-vie avant le dévoilement; la femme virile cachée sous une féminité exacerbée, la lesbienne dans le placard ou la travailleuse du sexe dans l’ombre. Jane Ar est une oeuvre foncièrement féministe, si le féminisme inclut les personnes queer et les travailleuses·eurs du sexe.

Contexte
Suite à une résidence de deux mois chez Rhizome, le texte de la performance a été présenté deux fois aux Chantiers du Carrefour international de théâtre de Québec en mai 2024. Pendant les deux mois de la résidence, le texte, préalablement écrit sous forme de roman, a été retravaillé en une version d’une heure pour permettre l’adaptation vers l’oralité. Avec les collègues de Rhizome, Simon Dumas et Carol-Ann Belzil-Normand, l’oeuvre s’est affinée dans un travail de dramaturgie, passant de 50 000 à 9000 mots, et le monologue a été appris avec l’aide du répétiteur Étienne La Frenière, jusqu’à ce que les mots habitent l’esprit autant que le corps. Il s’agit de la deuxième adaptation du genre de Rhizome, après La vie littéraire, une coproduction avec Carte Blanche adaptant l’ouvrage du même nom de Mathieu Arsenault. Présenté pour la première fois en mars 2017 à la Maison de la littérature de Québec, ce spectacle tourne toujours aujourd’hui. 

Ce que nous souhaitons explorer

Si le monologue existe, le spectacle, quant à lui, demeure à créer. Quand l’autrice a performé le texte devant le public des Chantiers | Constructions Artistiques en mai 2024, nous avons constaté que celui-ci vibrait au dedans de son corps et qu’elle savait garder un public bien accroché toute un heure durant. Pour la création du spectacle, nous ne souhaitons pas habiller d’artifices la parole de l’autrice, mais plutôt amener de l’air au récit afin que brûle encore davantage la parole intime et poétique d’Ariane Lessard. 

Au récit-texte se joint un récit-images. Celui-ci est créé à partir des photographies et des autoportraits que l’autrice publie sur ses comptes Instagram @jesusmafille. Ce récit-image — opérant en filigrane, souvent en sous-couche — émerge à certains moments pour prendre le relais de la parole. Parce que le texte relate une quête ontologique évoquant des pans très intimes de la biographie de l’autrice, un soin particulier sera apporté afin que le recours à l’image souligne tout en subtilité ce lien privilégié entre le texte et son intimité (révélée). 

Une équipe d’artistes collaborera avec l’autrice afin de construire ensemble le meilleur véhicule pour ces récits enchâssés. Cherchant à ce que récit-texte et récit-images évoluent entre ombres et lumière, entre les volumes et dans les creux d’un espace qui devra refléter la fluidité et la complexité de l’identité de Jane Ar, l’environnement scénique deviendra un lieu de tensions et de métamorphoses. L’espace, modulable et mouvant, sera habité par des formes organiques et abstraites, gonflées de sens et d’émotions, en constante transformation, à l’image de la protagoniste. Le travail de lumière viendra sublimer les zones de vulnérabilité et les moments de révélation, offrant une lecture subtile des contrastes entre visibilité et invisibilité, entre ce qui est montré et ce qui reste caché. Les images projetées, émergeant du corps et des formes plastiques, dialogueront avec les mots, créant une tension permanente entre le dire et le montré, l’intime et l’exposé. Ainsi, l’espace scénique sera pensé comme un organisme vivant, un terrain de résonances où les identités, en perpétuelle réinvention, se confrontent, se dévoilent et se redéfinissent, à la fois au plus près du public et dans des recoins invisibles, imprégnés de l’histoire personnelle et collective de l’autrice.

Équipe de création

Pour ce projet, plutôt que de suivre une approche traditionnelle de conception, nous comptons privilégier une démarche horizontale, invitant des artistes de divers horizons à collaborer avec et autour d’Ariane Lessard pour enrichir son oeuvre. 

Pour le travail de la lumière, la plasticienne Amélie Laurence Fortin, dont la pratique est fondée sur l’interaction subtile entre la lumière et l’espace, nous semble toute indiquée. Amélie saura mettre en valeur les moments de tension et de révélation du texte, accompagnant la protagoniste dans ses questionnements intérieurs tout en donnant forme à l’ombre et à la lumière qui enveloppent les zones de vulnérabilité de Jane Ar. Sa lumière sera un personnage à part entière, guidant le public à travers le récit. 

Carol-Ann Belzil-Normand, plasticienne et vidéaste, apportera sa vision unique en intégrant des formes gonflables à la scénographie. Ces éléments plastiques, qui se gonflent et se dégonflent au rythme de la performance, évoqueront la fluidité et la transformation constantes de l’identité de Jane Ar. Elles serviront en outre de surface de projection. Ces formes physiques, à la fois organiques et abstraites, incarneront le désir de réappropriation de soi tout en jouant avec l’idée de l’enfermement et du dévoilement. Leurs propriétés sonores —lorsqu’elles se gonflent et se dégonflent — seront également exploitées. 

Simon Dumas assurera la mise en scène. Depuis plus de vingt ans, il explore les modalités de l’expression littéraire hors le livre, surtout sous la forme de littérature vivante, c’est-à-dire lorsque le support du matériau littéraire est un corps dans l’espace et le temps de la représentation. Il s’intéresse particulièrement à la posture de l’écrivain·e, à ce que cela signifie lorsque c’est iel qui porte son texte devant un public. Il dirige Rhizome, compagnie avec laquelle il a créé des dizaines de projets depuis 2000, dont La vie littéraire (ci-dessus mentionné), qu’il a co-créé au côté de Christian Lapointe.

L’artiste

Ariane Lessard est titulaire d’une maîtrise en littérature à l’Université de Québec à Montréal. Elle est l’autrice de Feue (2018, La Mèche), finaliste aux Rendez-vous du premier roman de Chambéry et prochainement adapté au cinéma et d’École pour filles (2020, La Mèche) et (2022, la ville brûle). En 2021, elle était en résidence avec le Réseau des autrices francophones de Berlin pour le projet de l’Hôtel des autrices. Elle signe des nouvelles dans plusieurs ouvrages collectifs et revues.

Galerie photos

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