L’autrice Sarah-Louise Pelletier-Morin a réalisé une résidence de création littéraire du 2 mai au 2 juin 2023 à l’Hôtel des autrices, hôtel créé et mis sur pied par le Réseau des autrices francophones de Berlin. Elle nous partage son expérience.
Quel est le projet sur lequel tu as travaillé durant la résidence?
Mon projet porte sur les conditions matérielles de l’écriture. Dans quel contexte crée-t-on? Qu’est-ce qui encourage ou inhibe la création? Comment concilier l’écriture avec notre mode de vie? Dans quelles dispositions de corps puis-je créer? Quels sont les lieux, les décors, les lumières, les sons qui stimulent la création?
J’ai toujours été fascinée par la façon dont les formes d’écriture sont liées à mon corps, à mes affects. Par exemple, je n’écris pas de texte poétique à toute heure du jour; la poésie requiert certaines dispositions chez moi, un certain état mental résolument différent du texte essayistique. J’étais aussi habitée par une réflexion sur la difficile conciliation être le couple et la pratique d’écriture; écrire demande une grande solitude, qui nous éloigne forcément des autres. Enfin, je voulais réfléchir à la précarité dans laquelle nous plonge l’écriture : comment vivre de son art au Québec en 2023? Ce sont des réflexions très prosaïques qui sont à l’origine de ce projet.
Mon œuvre prend la forme de courts aphorismes, que j’entrecoupe par des témoignages. J’ai en effet mené quelques entrevues afin de confronter mon expérience à celles d’autres auteurs et autrices.
Qu’est-ce que l’Hôtel des autrices t’a apporté?
La résidence m’a permis d’échanger sur les conditions matérielles de l’écriture avec des femmes créatrices. Ces femmes sont des mères, des travailleuses autonomes, des solitaires, des amoureuses, qui doivent conjuguer avec de nombreuses contraintes pour créer. Elles aussi manquent surtout de temps et/ou d’argent pour écrire. Le soutien financier offert par cette résidence a permis à quatre autrices de se consacrer pleinement à l’écriture – de vivre de la création pour une certaine période. J’en suis très reconnaissante.
Chaque semaine, durant le mois de mai, j’ai rencontré trois autrices en résidence qui habitent à la Réunion, à Marseille et à Berlin. Les ateliers étaient animés par Delphine de Stoutz, qui nous invitait à écrire sur différents sujets, avec diverses contraintes (par exemple sur les monstres, nos lieux de l’écriture, l’impératif de productions dans le champ littéraire, etc.) Je ne savais qu’il serait aussi bénéfique pour ma propre pratique de me laisser ainsi contaminer par d’autres voix, d’autres formes, d’autres pronoms, d’autres schèmes; ces ateliers furent extrêmement stimulants. Je me sens privilégiée d’avoir partagé un espace de création avec autant de voix différentes, singulières.
Qu’est-ce qui t’a poussé à vouloir travailler sur les conditions d’écriture des écrivaines?
C’est une réflexion qui m’habite depuis longtemps. J’ai commencé à écrire il y a quatre ou cinq ans et je constate, au bout de ce chemin, que l’écriture ne permet pas de vivre, qu’elle nous place dans une grande précarité et qu’elle cohabite mal avec le mode de vie américain, basé sur la performance, l’efficacité, la production, la consommation. J’ai constamment l’impression de manquer de temps et d’argent pour écrire ; comment conjuguer nos pratiques de création avec la pauvreté? Je voulais mener une enquête pour savoir comment les personnes autour de moi font pour trouver les conditions pour écrire. J’avais également envie de me consacrer à une réflexion auto-analytique, introspective, sur ma pratique, peut-être dans l’objectif de déboulonner certains mythes sur la création : n’en déplaise aux conceptions romantiques, l’inspiration ne naît pas ex nihilo.
Ce chantier, que j’ai ouvert durant la résidence, me passionne complètement et je souhaite le prolonger, possiblement en en faisant un petit livre, une performance, voire un balado sur les pratiques de création au Québec.
Appel aux témoignages
Sarah-Louise est toujours à la recherche de témoignages pour mener à bien son projet. Si vous êtes écrivain·e et que vous avez envie de répondre à quelques questions sur vos pratiques d’écriture, écrivez-lui à l’adresse suivante : sarahlouisepm@hotmail.fr.
À propos de l’Hôtel des autrices
L’Hôtel des Autrices est une plateforme de création, d’échange, d’expérimentation et de publication numérique développée par et pour des autrices. Créé à Berlin en 2020 par le Réseau des autrices francophones de Berlin, l’Hôtel est une réponse directe et concrète aux difficultés structurelles auxquelles sont confrontées les femmes pour libérer un espace mental et physique propice à l’écriture.
Ouvert en septembre 2020 par une quinzaine de membres du Réseau des autrices à l’occasion d’une première résidence d’écriture expérimentale, l’Hôtel des Autrices est devenu peu à peu un lieu d’écriture collective : les textes des autrices ont pris forme dans l’intimité des chambres puis se sont croisés, répondu et se sont entrechoqués dans les espaces communs de l’Hôtel, dans une joyeuse intertextualité. |https://hoteldesautrices.com/
À propos du Réseau des autrices francophones de Berlin
Le Réseau des Autrices francophones de Berlin a pour objectifs d’accompagner les femmes dans l’écriture et la diffusion de leurs textes et de faire vivre la littérature francophone à Berlin en créant des ponts avec la scène littéraire germanophone.
Le réseau est un lieu de rencontres, d’écoute, de soutien, de partage pour les femmes qui écrivent. C’est une plateforme qui donne à voir la richesse de l’écriture en langue française au sein de la foisonnante scène littéraire berlinoise. C’est un tremplin pour penser et développer des pratiques d’écriture multiculturelles et plurilingues. C’est une démarche politique d’autonomisation des autrices. |https://autrices-berlin.com/
Partenaires
Les résidences de l’Hôtel des autrices est un projet réalisé par le Réseau des Autrices francophones de Berlin, en partenariat avec le Centre Wallonie-Bruxelles, La Marelle et Rhizome.